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D’après les Bollandistes, le père GIRY, les propres des diocèses et tous les travaux hagiographiques. Vies des Saints de l’Ancien et du Nouveau Testament, des Martyrs, des Pères, des Auteurs Sacrés et ecclésiastiques, des Vénérables, et autres personnes mortes en odeur de sainteté.

Histoire des Reliques, des pèlerinages, des Dévotions populaires, des Monuments dus à la piété depuis le commencement du monde jusqu’aujourd’hui.

Histoire des Saints, des Reliques, des pèlerinages, des Dévotions populaires, des Monuments dus à la piété depuis le commencement du monde jusqu’aujourd’hui.

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Saint Loup, évêque et libérateur de Troyes

Saint Loup de Troyes

Saint Loup naquit à Toul, au diocèse actuel de Nancy, de parents nobles et vertueux.

Son père, qui se nommait Epiroque, le laissa bientôt orphelin sous la tutelle d’Alistique, son oncle, qui fut pour lui un second père. Ce seigneur prit un très-grand soin de son éducation et le fit former dans toutes les études convenables à sa condition. Bientôt il s’acquit un nom illustre parmi ses concitoyens, et l’éloquence qu’il déploya dans les luttes du barreau, la beauté de sa figure, la douceur de son caractère, la sûreté de son jugement, le firent rechercher des sociétés les plus brillantes. Il ne put résister aux instances de Germain, gouverneur d’Auxerre, et plus tard évêque de la même ville, qui l’attira à sa cour ; mais jamais les grandeurs et les dissipations du siècle ne furent capables de détourner son cœur de la vertu qui lui était si chère. Malgré ses répugnances pour le mariage, il se rendit aux sollicitations de saint Germain, qui lui fit épouser, en 417, à l’âge de trente ans, une de ses parentes, Piméniole, sœur de saint Hilaire, évêque d’Arles, laquelle était extrêmement recommandable par sa pudeur, sa modestie et la beauté de son esprit. Comme ils avaient tous deux beaucoup de piété, de crainte de Dieu et de fidélité à son service, leur vie dans le mariage fut véritablement une école de sagesse et un exemple de religion et des plus belles vertus du Christianisme.

Cependant, sachant ce que dit Notre-Seigneur :

« Si vous voulez être parfait, allez, vendez tout ce que vous avez, donnez-en le prix aux pauvres et venez à ma suite ».

Ils résolurent d’un commun consentement de se défaire de leurs biens, de les mettre entre les mains des pauvres, afin qu’ils les portassent dans le ciel, et de se retirer du monde. Saint Loup s’en alla au monastère de Lérins, alors gouverné par le grand saint Honorat, qui fut, depuis, élevé pour ses mérites sur le siège d’Arles, et il prit l’habit religieux sous son obéissance (424). L’année de sa probation ne fut qu’une pénitence et une oraison continuelles. Il ne se contenta pas des abstinences et des veilles de la communauté, qui, néanmoins, étaient très-rigoureuses ; mais, avec sa permission de son saint abbé, il y ajouta de nouvelles austérités. Après cette épreuve, il fut obligé de faire un voyage à Mâcon pour achever de vendre ses biens et de les donner aux pauvres. Ce fut alors que saint Ours, évêque de Troyes, étant mort, saint Loup fut enlevé tout d’un coup pour remplir ce siège, sans qu’il lui fût possible de résister aux désirs du clergé et du peuple qui l’avaient élu (426). Il fut sans doute bien heureux de succéder à de si saints évêques qui avaient travaillé avec un grand zèle à sanctifier leur troupeau et à établir un bon ordre dans leur diocèse ; mais les mœurs étaient en ce temps-là si corrompu, qu’il eut encore beaucoup à travailler pour corriger les dérèglements des clercs et des laïques. Il s’y appliqua d’abord avec une prudence et une vigueur vraiment apostoliques, employant pour cela la force de la parole de Dieu, des remontrances publiques et particulières, et même, lorsqu’il était nécessaire, la sévérité des réprimandes et des punitions.

Il travaillait à cette œuvre de Dieu depuis deux ans, quand on apprit en France que l’hérésie de Pélage et de Célestius faisait beaucoup de progrès dans la Grande-Bretagne. Les catholiques de ce royaume, ne croyant pas avoir assez de lumière ni d’adresse pour réfuter cette hérésie, supplièrent les prélats des Gaules de les secourir et de leur envoyer quelqu’un de leur corps pour combattre une doctrine si pernicieuse. Par ordre du pape Célestin Ier, les évêques des Gaules se rassemblèrent en Concile, probablement à Troyes, y condamnèrent le pélagianisme, et chargèrent d’aller le combattre en Grande-Bretagne saint Germain d’Auxerre et saint Loup de Troyes. Les deux Saints acceptèrent avec joie celte commission, malgré les difficultés qu’ils y prévoyaient, et, sachant que le secours que l’on donne promptement est comme une double assistance, ils partirent au plus tôt pour se rendre sur le lieu du combat, avec l’autorisation du pape Célestin Ier (429). Ils passèrent par Nanterre et donnèrent le voile à une jeune bergère : c’était Geneviève qui, plusieurs années après, devait venir à Troyes d’abord, puis à Arcis, faire provision de blé pour Paris décimé par la famine, et récompenser le service rendu à sa patrie par de nombreux et éclatants miracles.

Le voyage de nos deux prélats à travers la Gaule ne fut qu’une suite d’honneurs rendus à leur dignité et à leurs vertus. Mais la traversée ne fut pas aussi heureuse. Le vénérable Bède, qui rapporte les circonstances de leur voyage, dans son premier livre de l’Histoire des Anglais, dit que les démons firent ce qu’ils purent pour le traverser : sur mer, ils excitèrent une si horrible tempête, que les marins ne doutaient plus de la perte du navire ; les vents étaient si impétueux et la mer si orageuse, qu’il n’y avait point d’apparence qu’un vaisseau passager en pût soutenir la violence. Les rames se brisaient ; les mâts s’abattaient sous les coups redoublés des vents en fureur ; encore quelques instants, et matelots et passagers allaient disparaître sous les ondes écumantes. Mais les prières des saints prélats furent plus fortes que toute la malice de l’enfer : ils bénirent quelques gouttes d’huile, les jetèrent sur les ondes en invoquant la très-sainte Trinité, et aussitôt la fureur de cet élément s’apaisa, et l’esquif arriva doucement au port. On savait déjà qu’ils devaient venir, car les possédés l’avaient publié, et on en avait d’ailleurs reçu la nouvelle des Gaules. Ainsi, grand nombre de catholiques vinrent au-devant d’eux pour les recevoir, et les conduisirent, avec beaucoup de joie et d’applaudissements, dans les lieux où l’erreur commençait à jeter de plus profondes racines. Le royaume sentit bientôt le bonheur de leur présence, car, par le moyen de leurs prédications, où l’érudition et l’éloquence chrétienne paraissaient dans tout leur éclat, et qui, d’ailleurs, étaient pleines de l’esprit de Jésus-Christ, ils convertirent la plupart de ceux qui s’étaient laissé tromper. Les miracles qu’ils firent ne contribuèrent pas peu à cet heureux succès : car, par l’imposition de leurs mains, le signe de la croix et l’application des saintes reliques, ils guérirent beaucoup de malades et chassèrent les esprits malins des corps de plusieurs possédés.

Les principaux ministres de l’hérésie, bien qu’étonnés de ces merveilles, auxquelles ils ne pouvaient rien opposer de semblable, ne se tinrent pas, néanmoins, pour vaincus. Ils eurent encore la témérité de demander une discussion publique contre les saints prélats, se flattant que, s’ils ne pouvaient pas établir et persuader leurs dogmes, ils embrouilleraient les questions et ébranleraient les esprits par la subtilité de leurs raisonnements. Saint Germain et saint Loup acceptèrent volontiers la conférence, mais ce fut à la confusion des hérétiques : car ils réfutèrent si doctement toutes leurs raisons, et firent voir si nettement la fausseté de leurs opinions et la vérité de la doctrine de l’Église, que ces impies demeurèrent sans réponse et n’osèrent plus paraître. Le vénérable Bède, qui décrit excellemment ce combat, dit qu’il se fit en présence d’une foule immense ; que la foi divine, la véritable piété, et Jésus-Christ parlant par ses serviteurs, étaient d’un côté ; et de l’autre, l’orgueil, la présomption humaine, et Pélage, rempli de la bonne opinion de lui-même ; et que l’éloquence des saints prélats y ayant paru comme un grand torrent qui, par les témoignages évidents de l’Ancien et du Nouveau Testament, entraînait tous les esprits, il se fit, en leur faveur, un cri et un applaudissement général de toute l’assemblée. Ils servirent encore extrêmement, dans l’île, à exterminer les restes de l’idolâtrie et à y établir partout la religion chrétienne. Nous rapporterons, dans la vie de saint Germain, toutes ces merveilles.

Les affaires de la religion étant heureusement terminées, les saints prélats revinrent dans leurs diocèses. On ne peut assez dignement représenter la sainteté de vie, dont le bienheureux Loup donna partout des exemples. Les grandes occupations de sa charge pastorale ne lui firent rien diminuer des austérités dont il avait fait profession dans le cloître. Durant vingt ans, il ne se coucha point sur un lit, mais seulement sur une planche. Il portait continuellement le cilice, et n’avait par-dessus, en hiver et en été, qu’une simple robe fort pauvre. De deux nuits, il n’en dormait qu’une, ou, plutôt, que la moindre partie d’une, et passait le reste en prières accompagnées de larmes, de soupirs et de fréquents regards vers le ciel. Il ne mangeait aussi ordinairement que de deux jours l’un : et les samedis, il se contentait d’un peu de pain d’orge. Ses revenus étaient plus aux pauvres qu’à lui, et il les leur distribuait avec une si grande profusion, qu’il ne lui en demeurait presque rien pour la subsistance de sa maison.

C’est ainsi qu’il passait sa vie dans son diocèse, lorsqu’Attila, roi des Huns et cruel persécuteur des chrétiens, entra comme un torrent de feu dans les Gaules, pour en dépeupler les provinces. On ne voyait sur toute sa marche que pillages, violences, massacres, incendies, ruines entières des villes et des villages. Enfin, après s’être assouvi de tous côtés du sang des Gaulois et des Francs, qui commençaient à être mêlés ensemble, il vint à Troyes pour l’assiéger, la piller et en faire un grand sépulcre. Il devait être d’autant plus avide de vengeance qu’il venait d’être battu par Aétius, dans les plaines catalauniques, aux environs de Méry-sur-Seine. Les habitants en furent si épouvantés, qu’ils n’eurent pas le courage de se mettre en défense ; et de fait, la ville était alors sans armes, sans garnison, sans fortifications et nullement en état de résister à un si puissant ennemi. Saint Loup demeura seul sans appréhension ; il assembla son peuple, l’exhorta à la pénitence et à la prière, et lui donna une ferme espérance dans le secours de Dieu, s’il persévérait à lever les mains au ciel dans un esprit contrit et humilié. Pour lui, il sollicita ce secours par des austérités extraordinaires et par des larmes continuelles qu’il versait au pied des autels, revêtu d’un sac et couvert de cendres. Enfin, ayant eu révélation que sa ville serait préservée, il se revêtit de ses habits pontificaux, et, se faisant accompagner par ses clercs, dont l’un était saint Némorius, diacre, qui portait sur sa poitrine le livre des Évangiles ; couvert de lames d’or, il marcha en procession au-devant de ce roi barbare.

Quand Attila aperçut cette sainte compagnie, il commanda à ses soldats de faire main basse dessus : et, de fait, Némorius et quelques autres clercs furent massacrés ; mais saint Loup, s’étant avancé pour lui parler, le barbare fut saisi d’un si profond respect, qu’il arrêta le carnage et se présenta pour lui donner audience. Le Saint lui demanda qui il était, et en vertu de quoi il avait entrepris de faire de si grands ravages par toute la terre :

« Je suis », répondit le prince, « Attila, roi des Huns, et le fléau de Dieu ».

« Si vous êtes le fléau de Dien », répliqua le bienheureux évêque, « soyez le bienvenu, et châtiez-nous autant que la main qui vous conduit vous la voudra permettre ».

Ces paroles amollirent tellement le cœur du barbare, qu’il protesta qu’il ne ferait aucun mal à la ville de Troyes. Le Saint l’en remercia ; mais le voulant éloigner au plus tôt de son diocèse, il lui fit traverser toute la ville avec son armée, sans que lui, ni aucun de ses soldats pussent reconnaître où ils étaient, frappés d’un aveuglement semblable à celui des Syriens que le prophète Elisée fit entrer dans Samarie, sans qu’ils vissent où ils entraient, comme il est rapporté dans le 4° livre des Rois. Ce conquérant, qui avait jeté la terreur dans tout l’Orient et tout l’Occident, fut si étonné de ce prodige lorsqu’il s’en aperçut, qu’il avait peine à le croire, et il avouait qu’un évêque seul lui avait fait plus de confusion que toutes les armées de l’empire ensemble. Comme la même chose lui arriva encore en Italie, lorsque saint Léon, pape, triompha de son courage et de sa fureur, et l’empêcha d’assiéger Rome, les Latins, faisant allusion aux noms de Leo et de Lupus, Lion et Loup, disaient qu’il n’y avait qu’un Lion et un Loup capables de vaincre un ennemi si terrible. Il y a beaucoup de ces circonstances qui ne sont pas dans la vie de saint Loup transcrite par Surius ; mais elles sont tirées de quelques autres auteurs cités par Baronius, en l’année 451 de ses Annales, lesquels ont traité plus au long de l’irruption d’Attila dans les Gaules.

Ce que nous trouvons dans cette vie, c’est que ce prince, admirant la vertu de notre Saint, et reconnaissant la force invincible de ses prières, voulut qu’il le conduisît jusqu’au Rhin, espérant que sa présence serait d’un grand secours à son armée, pour sortir sûrement des Gaules, où on lui avait déjà taillé en pièces deux cent mille hommes dans les plaines de Méry-surSeine. Lorsqu’il fut arrivé au Rhin, il le renvoya, le suppliant instamment de ne le pas oublier dans ses prières. Le Saint, à son retour, trouva le peuple dans une terrible émotion : comme il fallait, après de si grands miracles, que la tentation l’éprouvât et le maintînt dans l’humilité, il y eut des esprits malfaisants qui commencèrent à prendre ombrage de lui, et à le soupçonner d’intelligence avec Attila, à cause des faveurs extraordinaires que son insigne piété lui avait fait mériter de ce prince. Cette calomnie, se répandant de plus en plus, saint Loup jugea à propos de se retirer pour un temps de Troyes, en attendant que Dieu eût fait connaître son innocence. Il se retira sur le mont Lansuine, éloigné de cette ville de quinze lieues, et y vécut deux ans dans de grandes privations ; mais voyant que ses diocésains demeuraient toujours dans leurs sentiments, il se retira à Mâcon, où il avait autrefois possédé de grands biens. Ce fut là que la divine bonté fit paraître son innocence et sa sainteté par de nouveaux prodiges. En y allant, il guérit une femme paralytique qui était couchée sur le grand chemin. Depuis, il rendit l’usage de la parole à une fille que le démon avait rendue muette. Il rétablit en santé Claude, fils d’un grand seigneur, nommé Germanien, qui était à deux doigts de la mort. Il remit dans une parfaite convalescence une mère de famille, sœur du saint prêtre Rustique, qui, depuis dix mois, était si percluse de tout son corps, qu’elle ne remuait ni les pieds ni les mains. Enfin, ces merveilles le rendirent si célèbre dans l’Europe, que tous les princes se faisaient un plaisir de lui accorder ce qu’il demandait, au point même que Gébavulte, roi des Allemands, renvoya, sans rançon, à sa prière, plusieurs prisonniers de guerre du pays des Brions ou comté de Brienne.

Le retour de saint Loup à Troyes fut salué avec enthousiasme par ses diocésains reconnaissants. Mais si la ville n’avait point eu à souffrir de l’invasion, grâce à la puissante influence de son illustre pontife, il n’en était pas de même des campagnes, théâtre du stationnement et de la défaite de l’armée d’Attila ; elles n’avaient que trop expérimenté que l’herbe ne poussait plus où le cheval du barbare avait passé. Aussi saint Loup, touché des désastres de ces malheureuses populations, s’empressa-t-il de les réparer, autant qu’il dépendait de lui, et d’être le père de son peuple après en avoir été le défenseur. Le pays des Lassois, près de Châtillon-sur-Seine (pagus Latiscensis, Latisco) venait d’être ruiné par les Vandales que conduisait le féroce Chrocus ; saint Loup installa sur ces terres abandonnées les victimes de la nouvelle invasion. Bientôt après, il conduisit d’autres colons au village de Mâcon, près de Nogent-sur-Seine, et leur donna ce qui lui restait de ses biens patrimoniaux. C’est sans doute en souvenir de ce bienfait que le village voisin a pris le nom de Saint-Loup (de Buffigny).

Ces préoccupations matérielles, commandées par les circonstances, n’empêchaient point le saint prélat de se livrer à des œuvres de zèle. Il avait fait bâtir hors de la ville une église en l’honneur de Notre-Dame, qui fut plus tard celle de l’abbaye de Saint-Martin-ès-Aires, et il se plaisait à y rassembler son clergé et ses disciples, pour y converser avec eux des choses du ciel et leur donner les règles de la piété la plus tendre et de la vertu la plus sublime. C’est de cette école illustre que sortirent saint Aventin, saint Camélien et saint Mesmin. L’histoire met encore au nombre de ses disciples saint Pulchrone, qui fut évêque de Verdun, saint Sévère de Trèves, et saint Alpin de Châlons-sur-Marne.

L’âge avancé de saint Loup, en rendant sa vertu plus vénérable, n’avait rien diminué de la vivacité de son zèle ni de la beauté de son esprit. La seule lettre qu’il écrivit à Sidoine Apollinaire, dès qu’il eut appris son élection au siège de Clermont, en est la preuve péremptoire. Le nouveau pontife avait demandé à notre Saint des règles de conduite ; on ne sera pas fâché de trouver ici l’admirable réponse de saint Loup. Il y parle avec la tendresse et l’autorité d’un père aimable, et avec l’éloquence d’un habile orateur :

« Je rends grâces à Notre-Seigneur Jésus-Christ », lui dit-il, « de ce que, pour soutenir et consoler l’Eglise, sa chère épouse, au milieu des tribulations qui l’affligent de toutes parts, il vous a appelé à l’épiscopat, afin que vous soyez une lumière en Israël, et que vous remplissiez les ministères humbles et pénibles de l’Eglise avec autant de soins et de gloire que vous avez rempli les dignités les plus honorables de l’Empire. Etant dans le siècle, vous vous efforciez d’ajouter au lustre de votre naissance des honneurs encore plus éclatants. Vous croyiez qu’un homme ne devait pas se contenter d’égaler les autres, qu’il devait les surpasser. Mais aujourd’hui, vous voilà dans un état où, quoique supérieur à tous, vous ne devez croire l’être à personne. Il faut à présent que vous travailliez à devenir le serviteur de tous ceux dont vous paraissiez le maître …. Employez donc aux affaires de Dieu cet esprit qui a brillé avec tant de gloire dans les affaires du siècle. Que vos peuples recueillent de votre bouche les épines de Jésus-Christ crucifié, comme ils ramassaient auparavant de vos discours les roses d’une éloquence mondaine …. Pour moi, je suis près de ma fin ; mais je ne croirai pas mourir entièrement, parce que je vivrai en vous, et que je vous laisserai à l’Eglise …. Oh ! si Dieu voulait que j’eusse la consolation de vous embrasser ! Mais je fais en esprit ce que je ne puis faire autrement. J’honore et j’embrasse en présence de Jésus-Christ, non plus un préfet de la république, mais un évêque de l’Eglise, qui est mon fils par son âge, mon frère par sa dignité, et mon père par ses mérites ».

Une lettre d’un style si noble nous fait regretter de n’avoir pas d’autres ouvrages de saint Loup. On s’étonne moins qu’un homme si éloquent ait pu calmer les fureurs du féroce Attila.

Sidoine fit réponse à saint Loup en termes qui montrent bien le respect dont il était pénétré pour sa sainteté et son mérite.

« Béni soit », dit-il, « l’Esprit-Saint et le Père du Christ, Dieu tout-puissant, de ce que vous, qui êtes le Père des Pères, l’Evêque des évêques, le saint Jacques de votre siècle, daignez jeter les yeux sur tous les membres de l’Eglise, dont votre charité vous rend comme la sentinelle vigilante. Vous êtes capable de consoler tous les infirmes et vous méritez que tout le monde vous consulte ».

Sidoine ajoute que saint Loup :

« Est sans contredit le premier de tous les évêques du monde, qu’il est la règle des moeurs et la colonne des vertus ; que tous ses collègues dans l’épiscopat respectent et craignent sa censure ; que les plus âgés ne sont que des enfants en comparaison de lui, qui avait déjà passé neuf lustres », c’est-à-dire quarante-cinq ans, « dans l’épiscopat ».

Ainsi la sainteté et l’âge avancé de saint Loup le faisaient regarder, avec raison, comme le père et le maître de ceux qui lui étaient égaux par le rang. Dans cette même lettre, Sidoine, en faisant un humble portrait de lui-même, relève admirablement la vertu de saint Loup :

« Je suis », dit-il, « le plus indigne des mortels ; car je me vois obligé de prêcher aux autres ce que je n’ai pas le courage de pratiquer. Je me condamne par mes propres paroles ; et en ne faisant pas ce que je commande, je dicte tous les jours ma propre sentence. Mais intercédez pour moi auprès de Jésus-Christ, comme un autre Moïse ; moins âgé que lui, vous n’êtes pas moins grand. Priez le Seigneur qu’il éteigne en mon coeur l’ardeur de mes passions, afin que je ne porte plus à l’autel un feu étranger et profane».

Ce commerce de lettres dura plusieurs années, et Sidoine ne tarissait point sur les louanges de saint Loup. Il répète encore une fois dans une autre lettre qu’il est le plus grand évêque des Gaules.

Cependant, saint Loup sentait les années s’accumuler sur sa tête et l’avertir du terme prochain de son pèlerinage ici-bas. Il se prépara à la mort par une plus grande ferveur dans ses exercices religieux, par un plus grand amour de la solitude et du silence, et attendit en paix que le Seigneur l’appelât au repos qu’il avait si bien mérité par un laborieux épiscopat de cinquante-deux ans. Enfin l’heure de la délivrance sonna le 29 juillet 478 ou 479.

Saint Loup fut inhumé dans l’église qu’il avait fait bâtir hors de la ville, dans l’emplacement actuel de Saint-Martin-ès-Aires.

On conservait à l’abbaye de Saint-Loup, un sceau à double-face. Sur l’une d’elles, saint Loup était représenté en habits pontificaux, avec une épée, la pointe en terre ; on y lisait cette inscription : Sigillum capituli S. Lupi Trecensis. L’autre face montrait saint Loup, en habit guerrier et brandissant un glaive, monté sur un cheval lancé à toutes brides. L’exergue portait : S. Lupus, comes Trecensis. – Sur un des panneaux de bois qui tapissent la chapelle des Fonts à la cathédrale, on voit saint Loup, quittant sa femme Piméniole. Celle-ci, la tête parée d’un riche diadème de perles, en robe rose, avec des joyaux sur sa poitrine et une longue chaîne d’or pendant à sa ceinture, marche entre deux graves personnages : l’un d’eux, en riche pourpoint et couvert d’un manteau de riche étoffe brochée d’or, lui tient la main. L’autre, dans un costume analogue, coiffée d’une toque noire ornée d’or et d’une plume blanche, est à sa droite ; devant elle, un jeune chien blanc ; et derrière, plusieurs femmes, ses suivantes. – Son voyage en Angleterre est historié sur un panneau de la chapelle des Fonts à la cathédrale. Saint Loup, en habits pontificaux, la mitre en tête et la croix à la main, met en fuite les diables d’Angleterre, logés dans la mâture d’un navire, dont ils s’efforcent d’arrêter la marche ; le Saint, placé sur le rivage, d’un signe épouvante les démons. L’un de ces derniers, plongé dans l’eau jusqu’à mi-corps, s’accroche à l’ancre du vaisseau, à l’avant duquel est un saint abbé, en robe noire, avec une crosse d’or à la main. – Dans un des vitraux de la cathédrale, on voit près du chœur, saint Loup, en chape rouge, tenant sa crosse d’une main, et de l’autre une épée, dont il perce un dragon, symbole de l’hérésie. -Au-dessus de la porte occidentale de la chapelle de l’Hôtel-Dieu-le-Comte, une verrière formant rosace représente Attila arrêté par saint Loup, aux portes de Troyes, ainsi que la procession annuelle commémorative de l’événement. – A Chappes, dont saint Loup est patron, un vitrail représente aussi cette entrevue : c’est à la chapelle latérale du côté du midi. Attila, suivi de son armée, se présente à la pointe de Troyes, du haut de laquelle il est reçu par saint Loup. Le roi des Huns monte un cheval bai richement caparaçonné ; il est couvert d’une cuirasse d’or et porte en tête une couronne impériale du même métal. Ses guerriers sont aussi couverts de riches armures. Dans l’angle, à gauche du tableau, on voit un soldat d’Attila décapiter un Saint qui, agenouillé, reçoit le coup mortel.

Culte et reliques

La confiance du peuple dans le saint évêque devint bientôt de plus en plus vive. Les mères lui offraient leurs enfants après le baptême ; elles les portaient à son tombeau quand ils étaient malades et souvent leur foi recevait sa récompense. Le nom de saint Loup se répandit rapidement de toutes parts, et l’on vit se multiplier les temples en son honneur, non-seulement dans son diocèse, mais dans plusieurs provinces de la Gaule et jusque dans la Belgique.

Longtemps les disciples de saint Loup se servirent des ornements du pontife et les exposèrent à la vénération des fidèles. Quant à son corps précieux, il reposa au lien de sa sépulture jusqu’au IXe siècle, et c’est sur son tombeau qu’en 570, les rois Gontran et Chilpéric vinrent se jurer une paix réciproque, Mais, vers l’an 890, sous l’épiscopat de Bodou, trente-septième évêque de Troyes, les clercs de saint Loup le firent transporter dans l’enceinte de la ville, et le placèrent ensuite dans l’église de Notre-Dame-de-la-Cité, qu’ils bâtirent, et qui devint depuis l’abbaye de Saint Loup, aujourd’hui Bibliothèque publique.

Le tombeau du saint évêque fut ouvert en 1147, sous Everard, deuxième abbé de Saint-Loup.

On portait sa châsse en procession dans les villages, pour recueillir quelques offrandes ; mais elle fut brisée dans un de ces voyages. Jean de Chailley, 18e abbé, en fit faire une autre, en 1359, qui eut le même sort, et fut remplacée, en 1505, par un reliquaire, « très-bien fabriqué et l’un des plus beaux et riches joyaux de France, dressé par un ingénieux orfèvre de Troyes, appelé Jean Papillon ».

Cette châsse fut faite par les soins de Nicolas Forjot, 24e abbé de Saint-Loup, fils d’un maréchal de Plancy. C’était un grand buste tout d’argent et orné de diamants, soutenu par des anges, sur l’un desquels (celui qui soutenait la main droite de l’évêque) brillait une escarboucle taillée en carré long, de la longueur de trois centimètres environ, et qui était estimée plus de trois mille pièces d’or. Le saint évêque était, ainsi, que les anges, élevé sur un piédestal d’un ouvrage pareil, tout doré et revêtu d’émaux d’un travail délicat. Ce reliquaire était d’une valeur d’au moins deux cent mille francs.

Le 21 décembre 1640, la reine Anne d’Autriche demanda au couvent de Saint-Loup « le plus qu’il lui serait possible des reliques du saint évêque ». Les religieux se firent un devoir d’acquiescer à ce pieux et royal désir. Ils distribuèrent en même temps, des parcelles d’ossements à quelques paroisses, telles que Saint-Nicolas de Vérosse (diocèse de Genève), Saint-Eloi de Noron, Lévi (diocèse d’Auxerre), etc.

Les ossements vénérables du libérateur de la cité troyenne ne purent trouver grâce aux yeux des révolutionnaires : dans la nuit du 9 au 10 janvier 1794, ces audacieux profanateurs ouvrirent la châsse et jetèrent les ossements dans un feu allumé à la sacristie appelée Chambre du Prédicateur. Seule une portion du crâne put être détournée par deux employés de l’Église ; c’est ce précieux débris que l’on conserve dans une châsse enrichie d’émaux, provenant de l’ancien reliquaire.

Ces émaux sont d’une finesse d’exécution admirable et d’un goût de dessin qui rappelle les premières écoles d’Italie. Il y a des parties rehaussées d’or, et les pierreries qui ornent les chapes ou autres costumes, sont simulées en relief. Ils sont disposés autour de la châsse dans une suite d’arcades demi-circulaires ; mais on voit, aux traces qui restent, qu’ils avaient occupé des cadres en arc trilobé. Il y a cinq émaux sur chaque grande face de la châsse, et trois seulement aux extrémités : en tout, seize. Dans le soubassement, au-dessous de chacun des sujets, on lit une légende en gothique angulaire ; mais il n’y en a que quatorze de conservées. Les lettres sont bleues sur un fond blanc.

À l’arcade du milieu, extrémité de la châsse, l’émail qui est sans inscription présente pour sujet un martyre : un jeune homme à genoux, les mains jointes, et incliné vers un tombeau ou cercueil, probablement celui de saint Loup, va avoir la tête tranchée d’un coup d’épée, par un homme dont le costume assez riche parait indiquer que ce n’est pas un bourreau. Le bras de ce dernier est retenu par la Mort, figurée par un homme nu, avec une tête de squelette, et des bras décharnés.

À l’extrémité opposé, entre le mariage de saint Loup et le miracle de la jeune fille délivrée du diable, on voit saint Loup sur un trône, tenant sa crosse d’une main, et de l’autre une épée dont il renverse un monstre ailé, symbole de l’hérésie. Autour du Saint sont des assistants de tout âge et de tout sexe ; plusieurs d’entre eux sont agenouillés.

Selon l’usage immémorial, chaque année, le dimanche qui suit le 29 juillet, on porte en procession la relique de saint Loup, et l’on fait une station près de l’Hôtel-Dieu. C’est là que, suivant une antique tradition, saint Loup rencontra le roi des Huns, et apaisa son humeur farouche.

Il s’est formé, sous le patronage de saint Loup, une pieuse association qui jouit de faveurs particulières. Pendant neuf semaines, à partir du 29 juillet, une neuvaine de messes est faite à l’intention des associés vivants et morts. Le 30 juillet, le saint sacrifice est offert, en outre, pour les associés défunts, et le 10 mai, pour les vivants et les morts. Il suffit, pour faire partie de cette Association, de se faire inscrire à la chapelle du Sacré-Cœur, à la cathédrale, durant l’octave de saint Loup.