D’après les Bollandistes, le père GIRY, les propres des diocèses et tous les travaux hagiographiques. Vies des Saints de l’Ancien et du Nouveau Testament, des Martyrs, des Pères, des Auteurs Sacrés et ecclésiastiques, des Vénérables, et autres personnes mortes en odeur de sainteté.
Histoire des Reliques, des pèlerinages, des Dévotions populaires, des Monuments dus à la piété depuis le commencement du monde jusqu’aujourd’hui.
Histoire des Saints, des Reliques, des pèlerinages, des Dévotions populaires, des Monuments dus à la piété depuis le commencement du monde jusqu’aujourd’hui.
Celui-là seul est un chrétien parfait, qui est crucifié au monde et à qui le monde est crucifié, et qui ne se glorifie en rien autre chose qu’en la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
À notre entrée dans la vie, nous sommes marqués du signe de la croix, et nous mourons en pressant la croix sur nos lèvres ; la croix est gravée sur notre tombe pour rendre témoignage de notre foi et de notre espérance.
« Si quelqu’un veut être mon disciple », a dit Notre-Seigneur, « qu’il prenne sa croix et qu’il me suive ».
C’est-à-dire que, de toutes les choses de la terre, il ne faut prendre, pour bien suivre Jésus-Christ, que les peines et les tribulations ; il faut que nos cœurs soient, comme notre divin Sauveur, attachés à la croix et élevés de terre ; il faut qu’ils soient pour ce monde comme s’ils étaient morts. Parmi les Saints qui ont le plus brillé par cet amour, par cette folie de la croix, nous ne pouvons oublier saint Jean-Joseph de la Croix, dont le nom seul nous invite à aimer la croix.
Il s’inclinait avec une entière soumission devant les vérités de la foi, sans soulever à une main téméraire ou profane le voile de ce sanctuaire. Un jour qu’il vit quelqu’un murmurer contre la Providence, il s’écria vivement, en se mettant la main sur le front : « Que peut comprendre un os large de trois doigts dans les desseins impénétrables de Dieu ? » De cette vertu de foi découlaient, comme de leur source, un grand zèle pour instruire les ignorants des mystères de la religion, la force, la ferveur et la prodigieuse clarté avec lesquelles il exposait les dogmes sublimes de la Trinité et de l’Incarnation, et même de la prédestination et de la grâce ; le don qu’il possédait de calmer les appréhensions et d’apaiser les doutes relatifs à la foi, et enfin cet exercice continuel de la présence de Dieu, qu’il pratiquait sans discontinuation et qu’il ne cessait de recommander en disant : « Celui qui marche toujours en la présence de Dieu ne commettra jamais de péchés, mais il conservera son innocence et deviendra un grand Saint ».
La Vie des Saints : Saint Jean-Joseph de la Croix Tweet
Il naquit le jour de la fête de l’Assomption de l’an de Notre-Seigneur 1654, en la ville d’Ischia, dans l’île de ce nom qui fait partie du royaume de Naples, de parents respectables, Joseph Calosirto et Laure Garguilo, et reçut, le jour même, sur les fonts sacrés du baptême, les noms de Charles Cajétan. Distingué par sa piété au-dessus de ses frères, dont cinq au moins se consacrèrent au service de Dieu, il laissa paraître de bonne heure les semences des vertus qui ont sanctifié sa vie dans l’état religieux : nous voulons dire l’humilité, la douceur, l’obéissance et une incomparable modestie ; il manifesta également une inclination merveilleuse pour le silence, la retraite et la prière. Aussi, dès son enfance, choisit-il une chambre dans l’endroit le plus retiré de la maison paternelle ; il y dressa un petit autel en l’honneur de la Sainte Vierge, dans la grande fête de laquelle il avait eu le bonheur de naître, et avec laquelle il entretint toute sa vie une dévotion tendre et toute filiale.
Il passait tout son temps à l’étude et aux exercices de piété ; il ne manifesta pas moins de bonne heure son amour pour la croix, couchant sur un lit étroit et dur, et jeûnant à certains jours de la semaine ; à cette mortification prématurée de la chair il joignit un grand zèle à étouffer tout sentiment d’orgueil, portant constamment des vêtements fort communs, malgré sa naissance, sa position, les remontrances et les reproches qu’on lui en faisait. L’horreur du péché égalait en lui l’amour de la vertu, de sorte que son cœur, dès la première aurore de la raison, sut se soustraire, comme une plante délicate, à l’ombre même du péché, et se trouva tout pénétré de zèle pour la gloire de Dieu.
Aussi ne, se contentait-il, pas de fuir avec le plus grand soin la compagnie des jeunes gens de son âge, de crainte d’y souiller son innocence ; il recherchait encore toutes les occasions d’inspirer aux autres la haine et la crainte du péché, dont la plus légère apparence réveillait son indignation et lui arrachait des plaintes. La paresse, la légèreté, la vanité et le mensonge, dans les choses les moins importantes, étaient à ses yeux des fautes dignes d’une sévère réprimande.
Quand ses efforts pour détruire le péché lui attiraient des persécutions de la part des autres, loin de perdre patience, il n’y voyait qu’une nouvelle occasion de pratiquer la vertu. Un jour, ayant par charité essayé d’arrêter une querelle, il reçut un soufflet sur le visage en pleine rue : aussitôt il tomba à genoux et se mit à prier pour celui qui l’avait frappé. Sa tendresse pour les pauvres dépassait tout ce qu’on peut dire : il leur réservait la meilleure portion de ses repas et donnait à Notre-Seigneur, en leur personne, l’argent qu’il recevait pour ses menus plaisirs.
La sainteté de ses premières années lui mérita la grâce d’être appelé à un état saint : se sentant intérieurement poussé à quitter le monde, il eut grand soin de prendre conseil du Père des lumières ; pour cela, il multiplia ses prières et ses mortifications ; il fut exaucé : Dieu lui inspira le désir d’entrer dans l’Ordre de Saint-François-d’Assise, réformé par saint Pierre d’Alcantara. Il fut admis au noviciat dans la maison de Naples. Il manifesta tant d’ardeur, que les supérieurs jugèrent à propos de le revêtir du saint habit avant l’expiration du temps voulu. Lorsqu’il était encore dans sa seizième année, le jour de la fête de saint Jean-Baptiste, l’an de notre rédempteur 1671, il prit le nom de Jean-Joseph de la Croix. Il prolongea cependant les exercices de son noviciat et continua surtout de pratiquer, pendant trois ans, une mortification extraordinaire.
À l’âge de dix-neuf ans, ses supérieurs l’envoyèrent pour diriger l’érection d’un couvent à Piedimonte di Afile (le monastère d’Afila) au pied de l’Apennin. Non content de donner à son monastère un extérieur simple et pauvre et des dimensions étroites à proportion, notre Saint prit soin que la règle s’observât rigoureusement. Il exigea le plus grand silence, le recueillement le plus profond, une soumission exacte aux ordres et aux recommandations. Il ne crut pas que les deux heures et demie, consacrées à l’oraison mentale, fussent suffisantes ; il voulut qu’on récitât l’office divin avec plus d’attention et de solennité. Rien ne pouvait l’arrêter dans la construction rapide de cette maison ; il ne fit pas difficulté de s’employer aux offices les plus bas et les plus pénibles, portant lui-même sur ses épaules des briques et du mortier aux ouvriers.
Son zèle ne resta pas sans récompense : ce fut en cette occasion qu’il éprouva pour la première fois ces extases et ces ravissements dont il fut dans la suite si singulièrement favorisé. Un jour, après l’avoir cherché en vain par tout le monastère, on le trouva enfin dans la chapelle, ravi en extase, et si élevé de terre qu’il touchait le plafond de la tête.
Par obéissance, il consentit à recevoir l’ordre de la prêtrise et fut chargé d’entendre les confessions ; c’est là qu’il fit paraître sa science théologique, son expérience dans la vie spirituelle, qu’il avait acquise comme saint Bonaventure, saint Thomas d’Aquin, sainte Thérèse, en étudiant le crucifix, le plus utile de tous les livres.
Pour que son âme pût, sans être distraite par les objets étrangers, avoir le regard sans cesse fixé sur la croix, et y puiser chaque jour de nouveaux trésors de grâces par de nouvelles austérités et de continuelles prières, il résolut de se faire, dans un bois attenant à son monastère, une espèce de solitude, à la manière des anciens Pères du désert. Dieu bénit cette sainte entreprise en lui faisant produire les fruits les plus abondants, et lui concilia les cœurs de ceux qui étaient loin comme de ceux qui étaient près ; on découvrit dans le bois une délicieuse fontaine, dont les eaux guérissaient les malades ; auprès de cette fontaine, il éleva une petite église, et tout autour, à certaines distances, cinq petits ermitages, où, conjointement avec ses compagnons, il renouvela la vie austère et toute céleste des anciens anachorètes ; pour qu’aucun soin terrestre ne vînt la troubler, le monastère leur fournissait chaque jour la nourriture dont ils avaient besoin.
Mais les supérieurs, qui savaient quel riche trésor ils possédaient dans la personne de notre Saint, le choisirent pour maître des novices, dès qu’il eut atteint sa vingt-quatrième année. Dans ce nouveau poste, loin de se permettre la moindre dispense, il fut toujours le premier à donner l’exemple d’une scrupuleuse observance de toutes les règles, de l’assiduité au chœur, de la fidélité au silence, à la prière et au recueillement : il avait soin de faire pénétrer dans le cœur de ceux qui étaient sous sa conduite, un ardent amour pour Notre-Seigneur Jésus-Christ, un grand désir de l’imiter en tout, et, de plus, une vénération spéciale et un tendre attachement pour la Sainte Vierge, sa mère. C’était un moniteur zélé, mais plein de douceur, sans violence comme sans caprice, vigilant sans être tracassier ni fâcheux ; discret, bon, d’une humeur toujours égale, il ne recherchait et ne découvrait les fautes que pour y remédier avec une tendre charité ; il portait les autres à sa vertu, bien plus par ses exemples que par des réprimandes souvent hors de saison.
Il se conduisit surtout de la sorte, lorsqu’il fut investi de la charge de gardien à Piedimonte : il avait soin de faire goûter ses prescriptions aux autres, en se montrant le premier à les observer, imitant le capitaine qui encourage ses soldats en bravant lui-même les dangers et en surmontant les obstacles, ou l’oiseau qui, pour enseigner à ses petits à prendre leur essor et à s’envoler dans les airs, mesure, le premier, la distance, et stimule leur vol inexpérimenté. Il gagna bientôt les cœurs de tous les religieux qui, sous sa conduite, s’avancèrent à grands pas vers la perfection. Cependant, son humilité gémissait sous une charge si pesante; ayant obtenu, au bout de deux ans, le repos auquel il aspirait, il tourna son zèle vers la direction des âmes, l’assistance et le soulagement des mourants et des malheureux, et la conversion des pécheurs, Il ne jouit pas longtemps de cette sainte liberté Il eut la douleur de se voir rétabli dans la charge de gardien par le Chapitre provincial de 1684 ; et, loin de lui rendre cette croix légère, il plut à Notre-Seigneur d’envelopper son âme de ténèbres, de sécheresse et de désolation ; il se regardait lui-même comme sur le bord de l’abîme, incapable d’empêcher les autres d’y tomber. Mais, le bon Sauveur, qui ne semblait l’abandonner un instant, qu’afin qu’il se tournât vers lui avec plus de force, comme un enfant près de périr se jette dans les bras de sa mère, ramena le calme dans son esprit par une vision bien consolante.
Il sembla voir à notre Saint l’âme d’un frère, mort depuis peu de temps, qui apaisa ses alarmes en lui donnant la douce assurance que tous les religieux de Saint-Pierre d’Alcantara, qui étaient venus à Naples, ou qui y avaient fait profession, avaient mené une conduite si sainte, que pas un seul ne s’était perdu. Cela lui donna du courage et l’enhardit à embrasser les devoirs que sa charge lui imposait, et Dieu daigna le glorifier plus d’une fois par des miracles.
Des secours surnaturels vinrent soulager les besoins et les privations auxquels le monastère se trouvait réduit ; tellement que, dans un temps de famine, tout le pain ayant été distribué aux pauvres, de sorte qu’il n’en restait plus du tout pour la communauté, au moment même une personne inconnue apporta et déposa, à la porte du monastère, autant de pains précisément qu’il y avait de membres dans la communauté. Ce fait merveilleux se renouvela dans deux circonstances du même genre ; bien plus, on vit plus d’une fois le pain se multiplier miraculeusement et le vin devenu aigre reprendre son état naturel, et les mêmes herbes qui, un jour, avaient été cueillies pour être données aux pauvres, repoussèrent pendant la nuit et en plus grande abondance.
Lorsqu’il fut de nouveau déchargé de sa fonction de gardien, ce ne fut que pour reprendre la place de maître des novices, qu’il occupa pendant quatre ans consécutifs, et qu’il exerça, partie à Naples, partie à Piedimonte. À cette époque, il fut appelé dans son lieu natal, Ischia, pour recevoir le dernier soupir de sa mère ; à sa vue, toutes les puissances vitales se rallièrent autour de leur flamme expirante, qui dès lors brûla joyeusement dans la lampe jusqu’à la fin. Elle ne pouvait souffrir qu’il la privât un moment de sa chère compagnie, ne pouvant rassasier ses yeux maternels, tant que la mort ne les eut pas éteints, de contempler le fruit de ses entrailles, et ne cessant pas un instant de se recommander à ses prières. Elle mourut pleine d’espérance et de calme, en présence de ce fils bien-aimé. Celui-ci, renfermant au dedans de son cœur les sentiments de la douleur, accompagna à l’église ses restes mortels et offrit le sacrifice de propitiation pour le repos de son âme. Qui pourrait se faire une juste idée de ce qui se passait alors en lui ? Comme les flots de sa douleur perçaient à travers les saintes pensées qui occupaient son âme et son front ! Comme il voyait en esprit l’âme suppliante de sa mère se réjouir à chaque prière qui sortait de la bouche de son fils ! Comme il voyait son visage briller d’un plus grand éclat, à mesure que sa peine temporelle lui était remise, par le sang de l’Agneau de Dieu ! Avec quel bonheur, à la fin du sacrifice, il vit cette âme reconnaissante monter au séjour de l’éternelle félicité, et y exercer à l’instant son crédit, en priant à son tour pour son fils bien-aimé !
Voilà comment il se comporta en cette grande circonstance ; il ne lui fallut pas moins de courage lorsque les sécheresses et la désolation perpétuelle revinrent tourmenter son âme. Le démon mêla une autre amertume à cette coupe de tribulations ; notre Saint craignait de ne point procurer la gloire de Dieu par les austérités qu’il pratiquait lui-même, ou recommandait à ceux qui étaient sous sa direction, et redoutait qu’elles ne fussent l’effet d’une trompeuse illusion. Une vision le consola encore dans cette épreuve : un novice, qui était mort, lui apparut environné d’une gloire céleste et lui assura en termes formels que c’était uniquement à sa direction qu’il était redevable de cette gloire : ce qui rétablit enfin le calme dans son âme.
Le Chapitre provincial de 1690 le chargea de l’office de définiteur, sans lui ôter la charge qu’il avait déjà ; les difficultés attachées à ces deux fonctions exigeaient la réunion des vertus de la vie active à celles de la vie contemplative : notre Saint les surmonta toutes d’une manière aussi admirable qu’heureuse ; il eut occasion de montrer qu’il était le soutien le plus ferme de son Ordre. Les religieux de Saint-Pierre d’Alcantara d’Espagne, ayant eu quelques démêlés avec ceux d’Italie, obtinrent du Saint-Siège d’en être séparés : ceux d’Italie se virent donc abandonnés ; dans une congrégation tenue en 1702, les cardinaux et les évêques étaient tous disposés à en ordonner la suppression ; Jean de la Croix les fit changer de sentiment, de sorte que, le lendemain de la fête de l’apôtre saint Thomas, il fut publié un décret en vertu duquel l’Ordre était établi en Italie, sous la forme d’une province. Un Chapitre en confia le gouvernement ou plutôt l’imposa à notre Saint, qui, à travers des difficultés et des obstacles incroyables, l’établit d’une manière ferme et solide.
Plus il évitait les dignités, plus son Ordre les lui imposait ; il obtint enfin du Pape un bref qui l’exemptait de toutes charges et qui lui ôtait même sa voix active et passive dans le Chapitre. Dans le cours de l’année 1722, un autre Bref abandonna aux religieux de Saint-Jean d’Alcantara le monastère de Sainte-Luce, à Naples ; et c’est là que se retira notre Saint, pour ne plus désormais paraître au grand jour qu’il fuyait avec tant de soin, et qu’il resta pour édifier ses frères pendant le reste de sa vie et élever l’édifice de ses vertus, dont nous allons maintenant tracer une faible esquisse.
Il s’inclinait avec une entière soumission devant les vérités de la foi, sans soulever à une main téméraire ou profane le voile de ce sanctuaire. Un jour qu’il vit quelqu’un murmurer contre la Providence, il s’écria vivement, en se mettant la main sur le front :
« Que peut comprendre un os large de trois doigts dans les desseins impénétrables de Dieu ? »
De cette vertu de foi découlaient, comme de leur source, un grand zèle pour instruire les ignorants des mystères de la religion, la force, la ferveur et la prodigieuse clarté avec lesquelles il exposait les dogmes sublimes de la Trinité et de l’Incarnation, et même de la prédestination et de la grâce ; le don qu’il possédait de calmer les appréhensions et d’apaiser les doutes relatifs à la foi, et enfin cet exercice continuel de la présence de Dieu, qu’il pratiquait sans discontinuation et qu’il ne cessait de recommander en disant :
« Celui qui marche toujours en la présence de Dieu ne commettra jamais de péchés, mais il conservera son innocence et deviendra un grand Saint ».
De là encore, ce recueillement intérieur que ni les rapports avec le monde, ni l’exercice de différents devoirs qui le mettaient en contact avec les autres ne pouvaient troubler ; de là l’habitude de rapporter à Dieu toutes ses pensées, toutes ses paroles et toutes ses actions; une soumission : aveugle et une conformité entière à la volonté de Dieu parmi les croix sans nombre dont il fut visité, et enfin cette chaleur de sentiment qui s’échappait en ces termes :
« Mourir pour Jésus ! Puissé-je être digne de verser mon sang pour lui ! Oh ! Avec quelle ardeur je désire verser mon sang pour rendre témoignage à la sainte foi ! »
Il conservait un visage serein et joyeux au milieu des plus horribles peines ; il bénissait Dieu de tous ses maux. Parmi les maladies nombreuses qu’il eut à essuyer, il y en eut une qui dura vingt-trois jours, pendant lesquels il fut obligé de rester la tête posée sur des oreillers et les bras étendus sans mouvement. Mais pas un mot de murmure ou de plainte ne s’échappa de ses lèvres ; il répondait avec joie et avec patience à tous ceux qui venaient le visiter : ce qui le fit appeler « le Job des temps modernes, un homme exempt des fragilités humaines ».
Ce qui le soutenait ainsi, c’était l’espérance qu’il avait en Dieu. Il avait coutume de dire à ses compagnons, lorsqu’ils se décourageaient à la vue des persécutions qu’ils avaient à subir :
« Espérons en Dieu, et nous serons certainement consolés ».
Et aux malheureux qui affluaient vers lui :
« Dieu est un tendre père qui aime et secourt tous ses enfants ».
Ou bien :
« N’en doutez pas ; espérez en Dieu, il pourvoira à vos besoins ».
Sachant que Dieu le destinait à un royaume éternel, il ne doutait point qu’il ne lui fournît les moyens nécessaires pour y arriver ; tout ce qui passe lui semblait méprisable auprès de ce qui dure éternellement.
« Qu’est-ce que cette terre », disait-il, « sinon de la boue, un morceau de poussière, un pur néant ! Le paradis, le ciel : Dieu est tout. Ne vous attachez point aux biens de ce monde, fixez vos affections en haut ; pensez à ce bonheur qui durera éternellement, tandis que l’ombre de ce monde s’évanouira ».
Quoique son espérance, en vue des mérites de la sainte Passion de Notre-Seigneur, fût sans bornes, il ne pensait cependant qu’avec effroi à la grièveté des péchés et à la redoutable sévérité des jugements de Dieu ; il avait le plus vif regret des moindres fautes, il déplorait sans cesse son défaut de correspondance à la grâce divine, il se proclamait partout pécheur et se recommandait aux prières des autres.
Dieu récompensa la confiance de son serviteur par plusieurs miracles ; en voici un qui arriva huit ans avant sa mort : au mois de février, un marchand napolitain l’attendit jusqu’au soir à la porte de son jardin, et, au moment où il rentrait, il l’aborda en le conjurant de prier pour sa femme qui se trouvait alors en grand danger, étant saisie d’un violent désir d’avoir des pêches qu’il était impossible de se procurer à cette époque de l’année. Le Saint lui ordonna de se tenir es paix et de se consoler, lui disant que le lendemain matin le Seigneur, saint Pierre d’Alcantara et saint Pascal satisferaient à son désir. Apercevant alors, au moment où il montait les degrés, quelques branches de châtaignier, il se tourna vers son compagnon et lui dit :
« Frère Michel, prenez trois de ces branches et plantez-les ; si vous le faites, le Seigneur, saint Pierre d’Alcantara et saint Pascal auront égard aux besoins de cette pauvre femme ».
Le frère convers s’écria tout émerveillé :
« Quoi, mon père, des branches de châtaigniers peuvent-elles rapporter des pêches ? – Laissez le tout, répliqua le Saint, entre les mains de la Providence et de saint Pierre d’Alcantara ».
Le frère obéit donc et planta les branches de châtaigniers dans un pot à fleurs en dehors de la fenêtre du Saint, et voilà que le matin on les trouva couvertes de feuilles vertes, et chacune de ces branches portait une superbe pêche. La femme du marchand en mangea et échappa ainsi à la mort.
L’amour de Dieu brûlait si ardemment dans son cœur, qu’il éclatait jusque dans ses traits, où il répandait une lumière surnaturelle et céleste, et donnait à ses discours une onction particulière.
« Quand il n’y aurait ni ciel, ni enfer, disait-il, je voudrais, néanmoins, aimer Dieu toujours ».
Ou bien :
« Aimons Notre-Seigneur, aimons-le réellement et en vérité ; car l’amour de Dieu est un grand trésor. Heureux celui qui aime Dieu ! »
Il faisait tous ses efforts pour allumer dans le cœur des autres le feu qui dévorait le sien. Aimant ainsi Dieu qu’il ne voyait pas, pouvait-il manquer d’avoir des entrailles de père pour son prochain qu’il voyait ? Toute sa vie, il se fit un devoir de nourrir les pauvres ; et, lorsqu’il eut été choisi pour supérieur, il défendit de renvoyer un seul mendiant de la porte du monastère, sans lui donner l’aumône. Dans un temps de disette, il consacra au soulagement des malheureux sa propre portion et celle de sa communauté, se reposant sur la Providence du soin de pourvoir aux besoins de sa maison ; n’étant que simple moine, il recommanda fortement cet acte de charité à ses supérieurs. Il obtenait aux pauvres et aux marchands, qui recouraient souvent à lui pour cet effet, le paiement des choses qui leur étaient ducs.
Mais ce fut surtout envers les malades que sa charité ne connut point de bornes ; il visitait, non-seulement ceux du monastère, mais aussi ceux du dehors, pendant les saisons les plus rigoureuses. Il alla même jusqu’à prier Dieu de transférer sur lui les souffrances des autres, et sa prière fut exaucée. Ainsi le P. Michel, depuis archevêque de Cosenza, souffrant beaucoup de deux ulcères aux jambes, où une incision douloureuse était devenue nécessaire, se recommanda aux prières de notre Saint, qui pria Dieu généreusement de transporter sur lui cette affliction : aussitôt les membres du malade furent délivrés de leur infirmité, et ceux du Saint furent infectés de deux horribles ulcères qui lui causèrent d’affreuses douleurs. De même que Dieu fait luire son soleil sur les méchants aussi bien que sur les bons, ainsi notre Saint n’excluait pas ses ennemis mêmes des bienfaits de sa charité sans bornes.
Il mit tout en œuvre pour procurer une place avantageuse à un homme qui l’avait insulté ; et, comme on l’avertissait que cet homme était son ennemi, il répondit qu’il avait par conséquent une obligation plus grave de lui rendre service. Sa charité redoublait encore d’ardeur lorsqu’il s’agissait d’œuvres de miséricorde spirituelle à accomplir. Comme dans ses vieux ans on lui recommandait de se ménager, à raison de ses infirmités :
« Je n’ai point d’infirmité », répondit-il, « qui m’empêche de travailler ; mais, quand même, ne devrais-je pas sacrifier ma vie pour la même fin, pour laquelle Notre-Seigneur Jésus-Christ a été crucifié ? »
Aussi Dieu, se servait-il, de lui pour opérer un grand nombre de conversions. Le même esprit de charité, qui lui faisait prendre sur lui-même les maladies des autres, le portait également à se charger de leurs peines spirituelles.
Un serviteur d’un prince vivait depuis cinq ans éloigné des Sacrements et se plongeait sans frein dans toute espèce de désordres : vaincu enfin par les remords de sa conscience, il fit une confession générale à notre Saint, qui en considération de la sincérité de ses sentiments, et touché de compassion pour sa faiblesse, ne lui imposa qu’une pénitence légère, se chargeant d’accomplir lui-même le reste de la peine due à ses péchés.
Outre ces vertus générales, il possédait dans un haut degré celles qui sont propres à l’état religieux, surtout une obéissance prompte et illimitée à tous les ordres de ses supérieurs, quelque pénibles ou difficiles qu’ils pussent être. Un jour qu’il lui fallait faire un voyage fort long, il partit avec joie, quoique ses membres fussent affligés de graves ulcères ; arrivé à une ville qui se trouvait sur sa roule, le médecin du lieu le pressa fortement de ne pas avancer plus loin, par la raison que ses plaies étaient enflammées et que le temps était excessivement froid ; et, voyant que son amour pour l’obéissance empêchait le Saint de se rendre à ses raisons, il lui proposa d’écrire à son supérieur ; mais le Saint refusa invinciblement, quoique poliment, et continua sa route sans aucun sursis. À peu de distance de· là, ayant glissé sur la glace, il tomba et déchira cruellement ses membres malades, au point qu’il avait peine à se tenir debout ; cependant, avec un courage et une persévérance vraiment héroïques, il poursuivit sa tâche et l’accomplit.
Cette obéissance qu’il pratiquait lui-même, il eut grand soin de l’exiger des autres, lorsque sa qualité de supérieur lui en faisait un devoir : car il regardait cette vertu comme essentielle à un religieux. Aussi, lorsqu’il découvrait, par une lumière surnaturelle, quelque transgression secrète de ce précepte de la part d’un des novices, il punissait sur-le-champ même cette faute avec sévérité, en dépouillant le coupable du saint habit.
Son amour pour la pauvreté n’était pas moins remarquable. Un siège et une table des plus communs ; un lit composé de deux planches étroites, avec deux peaux de brebis et une mauvaise couverture de laine, un tabouret pour supporter ses jambes ulcérées, puis son Bréviaire : voilà ce qui formait tout le mobilier de sa cellule. Quoique l’Ordre permît à chacun des religieux d’avoir deux paires d’habits, il n’en eut point d’autres cependant, pendant les quarante-six ans qu’il en fit partie, que celui dont il fut revêtu au noviciat.
Toutefois, ce fut dans le soin qu’il mit à veiller à la garde de sa chasteté qu’il parut le plus admirable. Ses mortifications continuelles, son extrême modestie, et la vigilance perpétuelle qu’il exerçait sur tous ses sens, le préservèrent du plus léger souffle de la corruption : jamais, pendant les soixante ans qu’il vécut, on ne le vit regarder en face une personne d’un autre sexe ; toutes ses paroles et toutes ses actions recommandaient la pureté et en inspiraient l’amour : dans les rues, il rendait poliment les saluts qu’il recevait de tous ceux qu’il rencontrait, mais sans lever les yeux de terre, et jamais il ne conversait avec les personnes de sexe différent sans nécessité ou sans observer la plus grande réserve. Lorsqu’il allait à un couvent de religieuses, il prenait toujours un compagnon avec lui ; et tout le temps qu’il y passait, il faisait si peu usage de ses yeux, qu’il lui eût été impossible de rien dire de ce qui s’y trouvait, même des objets qui auraient été signalés à son attention. Avec les membres de son Ordre, il ne croyait pas devoir se départir de cette modestie singulière de conduite : conversant avec eux à distance, et tenant toujours les yeux baissés vers la terre. Pour accoutumer les novices à cette retenue des sens, il leur défendait de lever les yeux, même pour examiner les saintes images. Son amour pour cette vertu fut toujours si constant et si délicat que, sur son lit de mort, lorsqu’un de ses frères levait la couverture de dessus ses jambes pour panser les plaies dont elles étaient affectées, le Saint, tout mourant qu’il était, fit un effort pour la ramener. En récompense de cette pureté virginale qu’il conserva sans tache depuis son baptême, comme son confesseur l’attesta depuis, Dieu voulut que son corps, malgré son âge, ses infirmités et les plaies dont il n’était jamais exempt, répandît une odeur suave et délicieuse, qui se faisait sentir à tous ceux qui l’approchaient.
Cette vertu, si solidement enracinée dans notre Saint, n’était pas séparée de son unique et véritable fondement : l’humilité. Il se plaisait à remplir les emplois domestiques du monastère, et, quand sa tâche était finie, il se montrait empressé à remplir celle des autres. Cette même vertu le portait à cacher adroitement ses mortifications extraordinaires. N’ayant vécu, pendant fort longtemps, que d’un peu de pain et de fruits, il se plaisait à répéter qu’il était gourmand de fruits, et qu’il satisfaisait sa sensualité. C’est là aussi ce qui lui faisait fuir toutes les places et tous les honneurs, autant du moins que le pouvait comporter son vœu d’obéissance. Lorsqu’il parcourait l’Italie en qualité de provincial, il ne voulait pas se faire connaître aux hôtelleries où il logeait, de peur qu’il ne devînt l’objet de quelque distinction. On peut attribuer à la même cause l’éloignement qu’il eut toujours de retourner visiter son pays natal ; la répugnance qu’il avait de se trouver en la compagnie des grands, quand leurs intérêts spirituels ne le demandaient pas ; le refus d’accepter les invitations que le vice-roi de Naples et son épouse lui adressèrent de venir au palais ; l’habitude qu’il avait de s’appeler le plus grand pécheur qui fût dans le monde, un ingrat qui ne répondait aux bienfaits de Dieu que par une criminelle ingratitude, un ver sur la surface de la terre ; l’usage où il était de baiser fréquemment les mains des prêtres ; sa répugnance à déclarer son opinion dans les conseils ; le soin qu’il prenait de s’abstenir de parler de sa naissance et de ses amis, de remercier Dieu de ce qu’il éclairait ceux qui le méprisaient, de ne jamais se scandaliser des péchés des autres, quelque grands qu’ils fussent, et enfin de ne jamais faire paraître le plus petit ressentiment des insultes ou des outrages qu’il recevait. Il s’étudiait à cacher et à dissimuler le don des miracles et de prophétie dont Dieu l’avait favorisé à un si haut degré, attribuant les miracles qu’il opérait à la foi de ceux en faveur desquels ils étaient opérés, ou bien à l’intercession des Saints. Souvent il ordonnait à ceux qu’il rendait à la santé de prendre quelque médecine, afin que la guérison pût être attribuée à un remède purement naturel. Quant à ses prophéties, qui sont en grand nombre, il affectait de juger d’après l’analogie et l’expérience. Ainsi, pendant l’épouvantable tremblement de terre qui eut lieu le jour de saint André (1732), comme les religieuses de plusieurs couvents n’osaient aller à leurs dortoirs, il les rassura, en leur disant qu’après quelques secousses seulement, il cesserait sans causer le moindre préjudice à la ville ou à ses habitants. Quelqu’un lui ayant demandé quelle raison il avait de s’exprimer d’une manière si positive :
« Je suis sûr », répondit-il, « qu’il en arrivera ainsi, parce que c’est ainsi qu’il en est arrivé précédemment ».
L’événement justifia sa prédiction, et, le jour qui avait précédé le tremblement de terre, il en avait averti ses compagnons de cette manière :
« Mes frères, s’il arrivait un tremblement de terre, où trouverions-nous un refuge assuré ? »
Personne ne faisait de réponse :
« C’est dans le réfectoire », ajouta-t-il, « parce qu’il est placé plus avant dans la montagne ».
Parlons maintenant de ses mortifications extraordinaires. Aux pénitences et aux austérités nombreuses prescrites par les règles de son Ordre, il en ajoutait autant qu’une ingénieuse abnégation de soi-même en peut imaginer. Il veillait d’une manière très-particulière à la garde de ses sens ; dans sa jeunesse même, il ne se permettait pas de lever les yeux au plafond de sa cellule, et lorsqu’il eut été élevé au sacerdoce, il se fit une règle de ne regarder qui que ce soit en face. Il mortifiait ses oreilles en leur refusant le plaisir d’entendre la musique ; il n’aurait même pas voulu flairer une fleur.
Gardant le silence aussi longtemps que possible, il ne parlait qu’à voix basse. Il allait tête nue dans toutes les saisons ; et, sous ses habits qui étaient grossiers et pesants, il portait divers cilices et diverses chaînes, qu’il avait soin de varier pour réveiller toujours le sentiment de la douleur. En outre, il se donnait de rudes disciplines ; et lorsqu’à l’âge de quarante ans ses supérieurs l’obligèrent de porter des sandales, il mettait entre elles et ses pieds une quantité de petits clous ; mais le plus affreux instrument de pénitence qu’il inventa contre lui-même, fut une croix longue d’un pied environ, garnie de pointes aiguës, qu’il s’attachait si fortement sur les épaules, qu’il s’y forma une plaie qui ne se ferma plus depuis. Il portait aussi attachée sur la poitrine une autre croix du même genre, mais plus petite. Il abrégeait son sommeil à un degré qui tient vraiment du prodige ; et le peu qu’il en prenait, il ne le prenait qu’assis par terre, ou le corps ramassé sur sa couche, trop petite pour qu’il pût s’y étendre, et la tête souvent appuyée contre une pièce de bois qui faisait saillie dans le mur. Son abstinence n’était pas moins extraordinaire. Les trente dernières années de sa vie, il surmonta entièrement le plus insatiable de tous les besoins, la soif, en s’abstenant non-seulement de vin et d’eau, mais même de toute espèce de liquide. Un jour que son confesseur lui demandait comment il était venu à bout de maîtriser un besoin si impérieux de la nature, il répondit qu’il lui en avait coûté de terribles combats ; que cependant la réflexion qu’il faisait sur les souffrances auxquelles les hommes se dévouent volontairement pour des motifs qui n’en valent pas la peine, l’avait fait persévérer dans son dessein. Assurément, tout cela nous paraîtrait incroyable, si nous ne nous rappelions que saint Jean-Joseph de la Croix s’était chargé de l’instrument de la sainte Passion de Notre-Seigneur Jésus, et qu’il fut miraculeusement soutenu sous son poids. Si nous ne sommes pas doués d’un aussi grand courage, nous sommes tous capables du moins de souffrir bien plus qu’il ne nous est demandé pour gagner le ciel.
Les ravissements extatiques et les visions célestes étaient quelque chose d’habituel pour notre Saint. Dans cet état, il était mort à tout ce qui se passait autour de lui : ne voyant, n’entendant et ne sentant plus rien, il restait immobile comme une statue de marbre ; et, à son réveil, son visage brillait comme un charbon ardent. Dans un état si analogue à celui des Bienheureux, il participait de temps à autre à leur gloire.
Ainsi, pendant qu’il était en prière, souvent sa tête paraissait environnée d’un cercle de lumière ; et, pendant qu’il disait la messe, son visage rayonnait d’un éclat surnaturel. Il passait pour avoir déclaré, dans un moment de transport, que la sainte Vierge lui était apparue et qu’elle lui avait parlé. La nuit de Noël et dans d’autres circonstances encore, l’enfant Jésus descendait dans ses bras et y restait plusieurs heures de suite. Ses fréquents ravissements, dans lesquels il ne touchait plus la terre, mais restait suspendu en l’air, étaient parfaitement connus ; plusieurs personnes qui assistaient à sa messe en furent témoins ; la même chose arriva aussi d’une façon fort extraordinaire, dans le cours d’une procession.
Dieu ne lui refusa pas non plus cette singulière prérogative dont il a quelquefois favorisé ses Saints, d’être présents en plusieurs lieux à la fois, ou de passer avec la promptitude des esprits célestes, d’un lieu à un autre. Il est rapporté que, dans un moment où il était resté grièvement malade dans sa cellule, une dame l’envoya chercher pour venir l’entendre à l’église.
« Vous voyez », dit-il au commissionnaire, « dans quel état je suis : je ne peux remuer ».
Mais quand le serviteur vint rapporter cette réponse à sa maîtresse, qui, pendant son absence, avait conversé avec le Saint, elle refusa de croire à ses paroles, jusqu’à ce qu’elle eût acquis la certitude que le Saint était réellement dans la position qu’il disait. Francisco Viveros, qui était domestique d’une certaine duchesse, vint prier le Saint de l’accompagner chez sa maîtresse, qui désirait le voir, et, le trouvant entièrement incapable de se remuer, il se hâta d’aller faire part de cette circonstance à la duchesse, aux côtés du lit de laquelle il trouva le Saint occupé à la consoler.
Il n’est rien au-dessus de l’étonnement dont il fut alors saisi, et il l’exprima d’une manière bien vive ; mais le Saint lui dit d’un air nullement embarrassé :
« Que vous êtes simple ; je suis passé tout près de vous, et vous ne m’avez pas vu ! »
De même aussi, Mme Artémisia, mère de la marquise de Rugiano, se voyant saisie des horribles douleurs auxquelles elle était sujette, et n’ayant aucun moyen d’appeler le Saint à son aide, laissa échapper cette plaintive exclamation :
« O père Jean-Joseph, vous êtes éloigné de moi dans ma détresse, et je n’ai personne qui me rende le service de vous faire venir ici ».
Elle parlait encore qu’il parut tout à coup et lui dit avec l’air de bienveillance qui lui était habituel :
« Ce n’est rien, ce n’est rien ! »
Puis il la bénit, la guérit et disparut à l’instant.
Les secrets des cœurs n’avaient rien de caché pour lui. Ainsi, il fit part à un frère de son Ordre de la connaissance qu’il avait du désir qu’il entretenait secrètement d’aller dans les pays infidèles pour y souffrir le martyre. Une autre fois, ayant été introduit chez une dame qu’il n’avait jamais vue auparavant :
« Ah ! Voici, dit-il, « cette dame qui a tant à souffrir de la mauvaise conduite de son époux ! »
Puis, s’adressant à elle, il lui dit :
« Pourquoi lui en donnez-vous l’occasion ? »
Et il se mit à lui reprocher ses torts sur ce point.
Maintenant, nous ajouterons quelques traits relatifs à la connaissance qu’il avait des événements éloignés et futurs. Il prédit le rétablissement d’une dame qui était abandonnée des médecins, et qui, en effet, revint à la santé. On recommandait à ses prières une religieuse qui était gravement malade :
« Ne craignez point », dit-il, « elle ira bien »
Et il en arriva ainsi. Au contraire, il prédit la mort.de plusieurs personnes qu’on ne soupçonnait pas si près du trépas. Ayant été appelé pour assister une religieuse qui était expirante, il aperçut à côté de son lit une jeune personne qui était sa nièce :
« Vous m’avez appelé ici », dit-il, « pour assister à la mort de la tante dont la vie doit encore se prolonger, tandis que c’est la nièce qui est sur le bord de l’éternité ».
Peu après, en effet, la religieuse recouvra une santé parfaite, et la jeune personne fut emportée subitement par une attaque d’apoplexie.
Mais un exemple bien frappant de sa véracité prophétique est ce qui arriva à trois jeunes gens auxquels il prédit leurs diverses destinées, dans sa propre maison d’lschia, en 1694. Leurs noms étaient Gabriel, Antoine et Sabato ; tous trois manifestaient le désir d’entrer dans l’Ordre de Saint Pierre d’Alcantara. Quand le premier des trois lui ouvrit son dessein, notre Saint s’écria avec compassion :
« Hélas ! Mon fils, un Ordre religieux n’est pas ta vocation : tu as une mine de potence ».
Quand le second le consulta, il lui dit :
« Tiens-toi sur tes gardes, môn fils, car tu es menacé d’un grand péril ».
Alors le troisième, qui n’était qu’un simple paysan, ayant entendu en partie ce qui s’était déjà passé, répondit aux questions que lui fit le Saint relativement à ce qu’il désirait, en lui disant que ses parents étant morts, et ne trouvant pas mieux, il désirait joindre sa destinée à celle des deux autres, qui se proposaient de se faire moines.
« Sabato », dit le Saint, « priez la Sainte Vierge avec ferveur, faites souvent votre devoir, et Dieu vous assistera ».
Suivant cet avis, l’honnête paysan devint frère convers chez les Franciscains déchaussés, et se trouva souvent en rapport avec notre Saint. Il mena une vie sainte, supporta avec un courage vraiment chrétien les souffrances horribles de sa dernière maladie, et mourut avec la réputation d’un grand serviteur de Dieu. Mais, avant sa mort, il eut occasion d’être témoin de l’accomplissement des deux autres prédictions de notre Saint ; car, passant un jour dans le voisinage de Pozzuoli, on lui indiqua un endroit sur les montagnes environnantes où Antoine avait été tué et réduit en cendres par un coup de foudre, lorsqu’il était venu dans le voisinage pour se marier et s’établir. Par une coïncidence vraiment étrange, il rencontra, vers le même temps, aux environs de l’île d’lschia, le troisième dont le Saint avait prédit la destinée, Gabriel Martin, armé et équipé comme un brigand. Il apprit de sa propre bouche qu’ayant commis un assassinat, il avait été condamné à être exécuté, mais qu’il s’était échappé de la prison dans un moment d’insurrection, où toutes les prisons avaient été ouvertes, et que maintenant il errait en fugitif, dans une continuelle appréhension d’être poursuivi pour un autre homicide dont il était coupable.
Il reste à parler des miracles de notre Saint, dont le nombre est incalculable. D’abord, il eut un empire souverain sur les malins esprits, qu’il chassa de plusieurs personnes. La partie du monastère de Sainte-Luce-du-Mont, appelée le Noviciat, était infestée de nuit par ces esprits méchants ; mais notre Saint les en délogea sans retour, en bénissant l’appartement. Chose étrange ! Après sa mort ils essayèrent d’y revenir, mais ils en furent repoussés par la simple invocation de son nom. Les éléments eux-mêmes lui obéissaient : la pluie cessait de tomber à son ordre, lorsqu’elle tombait assez fort pour l’obliger à chercher un abri. Une autre fois, faisant route avec un compagnon sous une pluie incessante, leurs vêtements se trouvèrent secs, lorsqu’ils furent arrivés à leur destination, comme s’ils eussent eu du soleil tout le long du voyage. La nature entière lui était soumise et servait ses désirs. L’air lui rapporta sur ses ailes son bâton qu’il avait laissé derrière lui, et les plantes, comme nous l’avons vu, poussaient surnaturellement pour seconder les vues de sa charité. Quelquefois il opérait des miracles par une simple prière ; souvent, en faisant le signe de la croix, ou en se servant des reliques ou des saintes images, ou de l’huile des lampes qui brûlaient devant elles.
On ne cite pas moins de guérisons opérées par le contact des choses qui lui appartenaient, ou par celui de sa propre personne. Un manteau à son usage délivra un individu d’une folie furieuse qui était jugée incurable ; la manière dont s’opéra cette guérison est vraiment extraordinaire. La mère de ce malade tenant son manteau étendu devant lui, il sauta d’une fenêtre fort élevée dans la rue, et, lorsqu’on s’attendait à le trouver mort et tout mutilé, on le releva plein de vie et revenu à son bon sens ; il resta dans cet état jusqu’au moment de sa mort. Avec un morceau de l’habit du Saint, Casimir Avellon guérit sa femme, à Londres, d’une affection spasmodique aux épaules, contre laquelle on avait en vain jusque-là essayé de tous les remèdes. Un gentilhomme fut délivré d’une douleur aiguë à la tête par le simple contact de sa personne ; il affermit les membres d’un enfant âgé de trois ans, et rendit la vue à un jeune homme devenu aveugle, en les touchant simplement de ses mains.
Ce fut ainsi, dans la pratique de toutes les vertus, et favorisé de grâces toutes privilégiées, que notre Saint passa les jours de son pèlerinage, glorifiant Dieu, donnant l’aumône et faisant le bien, jusqu’au moment où il plut au Seigneur de mettre un terme à sa carrière terrestre, non sans lui avoir fait connaître d’avance le temps et les circonstances de sa mort. L’année où elle arriva, son neveu lui ayant écrit de Vienne qu’il retournerait chez lui au mois de mai, il lui répondit qu’alors il ne le trouverait plus en vie. Une semaine seulement avant son départ, s’entretenant avec son frère François, il lui dit : « Jusqu’ici, je ne vous ai encore rien demandé, faites-moi la charité de prier le Tout-Puissant pour moi, vendredi prochain ; vous entendez ? Vendredi prochain, souvenez-vous-en, n’oubliez pas». Ce fut le jour même de sa mort. Deux jours avant sa dernière attaque mortelle, il dit à Vincent Laine, en l’abordant :
« Nous ne nous reverrons plus sur terre ».
Or, le dernier jour de février, après avoir entendu la messe et reçu la communion avec une ferveur extraordinaire, il se retira dans sa chambre pour adresser à la foule qui se pressait autour de lui, ses derniers avertissements paternels. Il continua sans interruption jusqu’à midi ; et, à midi précise, se tournant vers le frère convers qui avait soin de lui, il lui dit :
« Dans peu, un coup de tonnerre va me renverser par terre ; vous me relèverez, mais ce sera pour la dernière fois ».
En effet, deux heures et demie après le coucher du soleil, une attaque d’apoplexie le renversa par terre ; il était seul en ce moment-là, mais un frère convers étant entré peu après dans son appartement, le releva et le mit sur son lit. Pendant qu’il lui rendait ce service, le Saint lui dit avec douceur :
« Je vous recommande cette image de la Sainte Vierge »
Puis, avec un visage plein de joie et de sérénité, il se coucha les yeux penchés vers l’image de la Mère de Dieu. D’abord, on se méprit sur la nature de son mal ; on pensa que l’excès de la fatigue avait occasionné un évanouissement ; mais, le lendemain, il se manifesta des symptômes alarmants, dont les progrès résistèrent à tous les remèdes. Les Pères théatins, dont il était tendrement aimé, ayant appris l’accident qui lui était arrivé, vinrent le visiter, apportant avec eux leur relique si renommée, le bâton de saint Cajétan.
Quand on lui en toucha la tôle, il se passa un fait remarquable, que nous allons rapporter en citant les paroles mêmes du père Michel, par qui la relique en question fut appliquée sur la tête du malade :
« En vertu », dit-il, « de l’amour réciproque qui existait entre le Père Jean-Joseph de la Croix et moi, et aussi de mon profond respect et de mes obligations particulières envers lui, je n’eus pas plus tôt appris qu’il avait été frappé d’une attaque d’apoplexie et que l’on craignait pour sa vie, que je lui portai le bâton de saint Cajétan. Comme je lui en touchais la tête, il arriva un prodige qui n’a point eu de pareil, avant ni depuis, quoique la relique ait été continuellement et soit encore portée chez un grand nombre de malades ».
Voici le fait :
« Lorsque je fus entré dans la cellule du susdit serviteur de Dieu, qui était mourant, et que je lui eus posé la susdite relique sur la tête, le bâton, à l’instant même, fit certains sauts et certains bonds correspondant à un son mélodieux qui fut entendu de tous ceux qui étaient présents ; et, malgré tous mes efforts, je ne pouvais l’empêcher de remuer dans mes mains, à mon grand étonnement et à ma grande satisfaction, qui furent partagés de tous ceux qui étaient avec moi témoins d’un prodige si inouï. Au moment même où ce prodige s’accomplissait, on vit le serviteur de Dieu lever lentement la main et indiquer de l’index le ciel. Frappé d’étonnement de ce qui se passait, et qui plus est, voyant que le Saint, par la violence de son mal, était hors de lui-même, je me disposais à approcher une seconde fois de lui la relique, lorsque le bâton se mit à sautiller comme la première fois et que le son mélodieux se fit de nouveau entendre ; une seconde fois encore le serviteur de Dieu leva la main et montra le ciel de l’index : ce qui me fit comprendre que saint Cajétan l’invitait au paradis. Tout cela nous fut, à tous ceux qui étaient présents et à moi, un grand sujet de consolation et une surabondance de joie spirituelle ; et le bruit de ce grand miracle venant à se répandre tout à coup dans tout le monastère, on vit arriver auprès du malade une foule de religieux et de personnes de distinction, qui joignirent leurs voix pour me prier de lui appliquer encore une fois la relique, afin qu’ils fussent aussi eux-mêmes témoins de ce prodige. D’abord je restai indécis, pensant que ce serait en quelque sorte tenter Dieu ; mais, cédant enfin à leur importunité, je me prêtai à leurs désirs, me disant en moi-même : Peut-être Dieu veut-il encore glorifier davantage son serviteur. Tirant donc la relique de son enveloppe, tandis que tous ceux qui m’environnaient examinaient avec une pieuse curiosité quel serait le résultat, j’appliquai la relique sur le malade, à deux reprises différentes, et à chaque fois se renouvelèrent les sautillements et les- sons dont j’ai parlé ; à chaque fois aussi, le serviteur de Dieu leva la main et montra le ciel comme les premières fois ; ce qui me confirma pleinement dans la persuasion que c’était une invitation par laquelle saint Cajétan l’appelait au bonheur céleste, et à laquelle le Saint répondait par ce signe. C’est là un point digne d’une sérieuse attention, lorsqu’on réfléchit que le serviteur de Dieu avait été frappé d’apoplexie et qu’il était privé de sentiment ».
Voilà ce que nous apprend le Père Michel. Quoiqu’il parût ainsi, selon toutes les apparences, dépourvu de sentiment pendant les cinq jours qu’il survécut, on ne peut douter que son âme ne fût entièrement livrée à ces extases et à une contemplation profonde ; c’est, en effet, ce qu’indiquaient sa figure, ses lèvres et ses gestes, qui avaient l’expression de la plus tendre dévotion. Ses yeux, généralement fermés, s’ouvraient fréquemment pour se reposer sur la douce image de Notre-Dame, dont il avait un tableau en face de lui ; quelquefois aussi il les tournait vers son confesseur, comme pour demander l’absolution, ainsi qu’il avait été précédemment convenu entre eux. On apercevait aussi un serrement des yeux et une inclinaison de la tête, et on le vit se frapper la poitrine lorsque, pour la dernière fois, il reçut l’absolution sacramentelle des mains du supérieur. De même, quand son ami chéri, Innocent Valetta, se jeta à genoux au bord de son lit et lui épancha son âme, en se recommandant secrètement, lui et sa famille, aux prières du saint homme, et le conjurant de ne point les oublier lorsqu’il serait dans le Paradis, le serviteur de Dieu jeta sur lui un regard d’ineffable douceur et de bienveillance, lui serrant tendrement la main en signe qu’il promettait de faire ce qu’il désirait de lui. C’est alors qu’on lui donna l’Extrême-Onction, en présence de sa communauté et en outre de plusieurs personnages de distinction, ecclésiastiques et laïques, qui tous étaient à genoux autour du misérable grabat du Saint expirant. Or, lorsque, suivant l’usage observé chez les religieux de Saint-Pierre d’Alcantara, le père gardien s’adressa à la communauté, pour déclarer à tous les religieux que leur frère mourant demandait, au nom de la charité, à être enseveli dans un pauvre habit, le serviteur de Dieu fit un signe de tête pour marquer son assentiment, et toucha le vêtement de celui qui parlait. Alors, tous ceux qui étaient présents ne purent s’empêcher d’être vivement affectés, en voyant que l’habit que venait de choisir l’humble Saint était le plus pauvre qu’il y eût, ayant été porté pendant soixante ans, et étant tellement rapiécé qu’il n’était plus possible d’en apercevoir la forme.
Enfin, l’aurore ramena le jour, et l’on vit se lever ce soleil si désiré qui devait éclairer le passage de notre Saint de cette vallée de larmes et de cette terre de douleurs à une vie meilleure : ce fut le vendredi, 5 mars, jour qui n’était point encore occupé dans le calendrier, comme s’il lui eût été réservé à dessein. Il avait passé la nuit précédente dans de continuels et fervents actes de contrition, de résignation, d’amour et de reconnaissance, à ce qu’on en put juger en le voyant se frapper fréquemment la poitrine, lever les mains au ciel et faire sur lui le signe de la croix. À une heure non avancée de ce dernier jour, s’adressant à un frère convers qui l’assistait, comme s’il sortait d’une extase, il lui dit ; « Je n’ai plus que quelques moments à vivre ». Alors le frère convers court en toute hâte en prévenir le supérieur qui, avec toute la communauté, qui était en ce moment au chœur, se rendit promptement à la cellule du mourant. On récita la recommandation de l’âme en versant des torrents de larmes, et notre Saint se tint si profondément recueilli pendant ce moment solennel, que, quand le frère Barthélemy, voyant qu’il avait deux fois fait des efforts pour se soulever, lui passa le bras sous la tête, le serviteur de Dieu agita sa main pour t’avertir de cesser, afin que son union avec Dieu ne fût point interrompue. Le père gardien, s’apercevant qu’il était en agonie, lui donna la dernière absolution sacramentelle ; le Saint inclina la tête pour la recevoir et la releva aussitôt ; puis il ouvrit les yeux pour la dernière fois, paraissant nager dans la joie et enivré de célestes délices, les fixa, au moment même où ils se fermèrent, avec un regard d’ineffable tendresse, sur l’image de la sainte Vierge; et enfin, donnant à ses lèvres l’expression d’un doux sourire, sans autre mouvement et sans autre démonstration, il cessa de respirer.
Ainsi expira, sans effort et sans aucune répugnance même de la nature, Jean-Joseph de la Croix, le miroir de la vie religieuse, le père des pauvres, le consolateur des affligés et l’invincible héros chrétien. À peine eut-il rendu l’âme, qu’il commença à se manifester à plusieurs dans un état glorieux. À l’heure même de son départ pour l’autre vie, Diego Pignatelli, duc de Monte-Liane, qui se promenait alors dans son appartement, aperçut le Père Jean-Joseph de la Croix, qui lui parut en parfaite santé (quoiqu’il l’eût laissé malade à Naples peu de jours auparavant), et tout environné d’une lumière surnaturelle. Frappé d’étonnement à cette vue, le duc s’écria :
« Quoi ! Père Jean-Joseph, êtes-vous donc si subitement rétabli ? »
À quoi le Saint répondit :
« Je suis bien et heureux »
Puis il disparut. Le duc envoya alors à Naples, et apprit qu’il était mort à l’heure où il lui avait glorieusement apparu. Il se manifesta d’une manière plus remarquable encore à Innocent Valetta ; car, se trouvant endormi au moment du décès de notre Saint, il se sentit tirer par le bras, et s’entendit appeler à haute voix par son nom. S’éveillant alors, saisi d’une vive frayeur, il aperçut un nuage de gloire, et, debout au milieu de ce nuage, un religieux de l’Ordre de Saint-Pierre d’Alcantara, avancé en âge, dont cependant il ne pouvait distinguer les traits à cause de la multitude des rayons de lumière qui s’en échappaient sans cesse et qui, par leur vif éclat, lui éblouissaient les yeux. Le religieux qui lui apparaissait ainsi lui ayant demandé s’il le connaissait, il répondit que non ; il lui dit alors :
« Je suis l’âme du Père Jean-Joseph de la Croix, délivré à l’instant même des liens de la chair et en route pour le paradis, où je ne cesserai de prier pour toi et pour ta maison. Si tu désires voir mon corps, tu le trouveras dans l’infirmerie de Sainte-Luce-du-Mont ».
À ces mots, il disparut avec le nuage, laissant celui qu’il avait favorisé de cette visite, fondant en larmes et rempli d’une sainte joie. Il s’habille aussitôt en toute hâte et se rend à Sainte-Luce, où il trouve une foule nombreuse, qui lui annonce la mort du Saint, et qu’il frappe d’étonnement par le récit de ce qu’il avait vu lui-même. Tombant alors sur le corps du Saint, il exprime ses regrets par des torrents de larmes et s’en retourne inconsolable de cette perte : c’est ce qu’il a attesté lui-même trente ans après, lorsqu’il fut question de rédiger le procès pour sa béatification. De même, trois jours après, il apparut au Père Buono, religieux de sa propre communauté, lui enjoignant de dire au supérieur d’ordonner de réciter un Gloria Patri devant l’autel du Saint Sacrement, pour rendre grâce à la très-sainte Trinité des faveurs qu’il en avait reçues. Un peu plus tard, Mme Marie-Anne Boulei de Verme fut visitée par le Saint, dont, à ce moment, elle désirait ardemment recevoir des secours spirituels. Le baron Bassano, qu’une maladie mortelle retenait au lit, fut favorisé d’une vision semblable et si bien guéri qu’il vécut encore plusieurs années ; et quand il mourut, ce fut d’une maladie toute différente de celle dont il se trouvait alors affligé. Ayant donc envoyé chercher le Père Buono, il lui raconta comment le Saint l’avait guéri, en lui recommandant de renvoyer chercher, et de se conduire en tout d’après ses avis spirituels : ce qu’il accomplit fidèlement.
Outre ces faits, qui n’ont eu pour témoins que quelques personnes, il est une autre preuve plus publique de l’élévation de notre Saint à la gloire éternelle. Son corps, qui, à raison de l’époque de sa mort et de la maladie qui l’avait causée, devait naturellement se raidir presque immédiatement, conserva toute sa flexibilité, et présenta un spectacle bien surprenant, lorsque, pour l’envelopper du suaire, on le mit sur son séant. Le visage était très beau et fraîchement coloré, quoique pendant sa vie il fût d’un teint basané ; et il y respirait une si douce paix, que le Saint paraissait n’être qu’endormi. Il découlait de ses plaies un sang chaud et vermeil qui exhalait une suave odeur ; beaucoup de personnes y trempaient leurs mouchoirs et les emportaient comme des reliques. Quand on transféra le corps de l’église dans la sacristie, il semblait moins être porté par les porteurs que les porter eux-mêmes.
La nouvelle de la mort du Saint ne se fut pas plus tôt répandue dans Naples, qu’on se porta en foule où était le corps pour le voir ; et, pour obvier à toute violence, on jugea convenable d’aposter des gardes tout autour. Ce fut en vain : le peuple franchit tous les obstacles, et, en peu d’instants, il ne resta plus aucune trace du vêtement dont il était enveloppé ; on s’en saisit avec avidité comme d’une relique de grand prix. La bière fut déchirée par morceaux aussi bien que le voile qui la couvrait, et trois fois il fallut rentrer le corps à la sacristie pour le vêtir décemment. On apportait des croix et des rosaires pour les faire toucher à sa personne sacrée ; indigènes et étrangers, tous se pressaient en foule pour lui baiser les pieds.
Avant même que le corps eût reçu les honneurs de la sépulture, le ciel glorifia par des miracles les restes sacrés de notre Saint. Le frère Michel de San-Pasquale, en voulant résister à la curiosité et à la dévotion indiscrète de là foule, reçut une blessure à la tête, ayant été atteint de la pointe d’une hallebarde. Le sang, qui en coulait abondamment, fut étanché en y appliquant un morceau de l’habit du saint. Mais le prodige le plus éclatant fut le miracle opéré en faveur de Charles Carafalo. Pendant les funérailles auxquelles il assistait, il se recommanda au Saint dans un moment de ferveur, lui promettant que, s’il guérissait de l’épilepsie dont il était attaqué depuis vingt-cinq ans, il publierait ce miracle dans tout l’univers. Le mal le quitta à l’instant même. Mais la suite fut encore plus extraordinaire ; car ayant, par uné coupable ingratitude, négligé de remplir son engagement, il éprouva une rechute au bout d’un an : ce qui le porta à aller se jeter aux pieds du Saint ; il implora son pardon, répara sa faute et guérit de nouveau.
Des hyacinthes jetées sur le corps du Saint guérirent la fille de Girolamo Politi d’une violente inflammation dans l’œil ; et, sans parler d’une multitude innombrable de faits de ce genre, deux petites parcelles de ses habits guérirent Anne di Matia et Paschal Christiano : la première, d’un violent point de côté, qui avait jusque-là résisté à tous les remèdes ; et l’autre, d’affreuses coliques qui ne l’avaient pas quitté depuis six ans et le tenaient dans une continuelle agonie. Ces faveurs excitèrent à tel point l’ardeur et la piété du peuple, que tous les efforts pour mettre le corps à l’abri d’un zèle indiscret furent inutiles ; et les supérieurs crurent prudent d’accélérer l’inhumation. C’est pourquoi, malgré la résolution prise précédemment de laisser ces précieux restes exposés pendant trois jours à la vénération publique, le lendemain, de grand matin, avant que la foule pût entrer dans l’église, on célébra les funérailles, et le corps fut pieusement déposé dans la tombe. Rien ne saurait peindre le désappointement du peuple au moment où s’ouvrirent les portes de l’église ; la violence à laquelle il se porta est au-dessus de tout ce qu’on peut dire : il se précipita en foule sur la pierre qui recouvrait les précieux restes du Saint, la baisant et l’arrosant de ses larmes. Marguerite di Fraja obtint, en cette occasion, la guérison de son neveu, qui était mourant, à la suite de blessures qu’il avait reçues dans une chute ; et le même jour Vincenza Aldava fut guérie d’une contraction du genou, qui la rendait incapable de marcher, en s’asseyant simplement sur la chaise qui avait appartenu à notre Saint, et récitant l’Ave Maria en l’honneur de Notre-Dame.
De même, après son inhumation, des miracles sans nombre attestèrent les vertus et la gloire de notre Saint. Les fièvres, des spasmes, des attaques d’apoplexie et d’épilepsie, et différentes maladies jugées incurables, furent guéries avec ses reliques. Ces prodiges déterminèrent le pape Pie VI à l’inscrire au Catalogue des bienheureux, le 15 mai 1789. Pie VII reconnut, le 27 avril 1818, l’authenticité de deux nouveaux miracles. Léon XII donna, le 29 septembre 1824, un décret par lequel il décidait qu’on pouvait, en toute assurance, procéder à sa canonisation, et Grégoire XVI en fit la cérémonie solennelle le 26 mai 1839.
La Vie des Saints| Multipurpose WP Theme with Elementor Page Builder. | © 2020 Kava Inc. | Privacy Policy