Saint Éloi naquit à Chatelac, succursale du canton de Nieul, près de Limoges ; il sortait d’une famille romaine établie dans les Gaules. Son père s’appelait Eucher, et sa mère Terrigie.
L’éducation qu’on lui donna ne pouvait être ni plus sage ni plus chrétienne. On le forma de bonne heure à tous les exercices de la piété et on lui imprima un tel mépris du monde, qu’il semblait n’être né que pour le fouler aux pieds.
Comme il marqua d’abord une adresse extraordinaire pour les ouvrages de la main, son père le mit chez un excellent orfèvre de Limoges, nommé Abbon, qui était le maître de la monnaie de Limoges. Il se rendit en peu de temps très habile en ce métier, et, parce qu’il joignait à son travail beaucoup d’assiduité au service divin, à la prière, aux sermons, à la lecture spirituelle et aux autres pratiques de dévotion, il se concilia facilement l’affection de tout le monde et s’acquit une grande estime dans tout le pays. Étant venu à Paris, il se lia avec le trésorier de Clotaire II. Ce roi, à qui le trésorier vanta l’habileté de notre Saint, le chargea de faire un siège qui annonçait une magnificence royale. Il lui fit délivrer une grande quantité d’or avec le nombre de pierres précieuses dont il voulait que ce trône fût enrichi. Éloi y travailla avec diligence, et, en très peu de temps, avec le seul poids d’or qu’on lui avait donné, il fit deux trônes d’une structure admirable et tels qu’on n’en avait jamais vu de semblables. Le roi fut également surpris de la beauté de l’ouvrage et de ce que, sans nulle augmentation de métal, au lieu d’un trône, il en avait fait deux. On pesa l’un et l’autre et l’on trouva qu’il ne suivait pas la mauvaise foi de la plupart des ouvriers, qui, pour excuser leurs larcins, allèguent ordinairement que la lime a usé une partie du métal et qu’une autre a été consumée par le feu ; mais on éprouva qu’Éloi rendait sans nul déchet tout le poids qu’il avait reçu.
« Voilà une grande exactitude », lui dit Clotaire, « et vous montrez bien par là qu’on peut se fier à vous en des choses plus considérables ».
Ce fut par cette action que notre Saint gagna les bonnes grâces de son prince et l’estime de toute sa Cour.
Il avait surtout un zèle merveilleux pour la rédemption des captifs, et dès qu’il savait qu’il y avait un esclave à vendre, soit français, soit étranger, il l’achetait de ses propres deniers pour lui donner la liberté. On en amenait quelquefois de si grandes troupes, surtout du pays des Saxons, que son argent ne suffisait pas pour leur rachat ; mais alors il vendait jusqu’à ses provisions, ses habits et ses souliers pour les tirer d’un état si misérable. Après les en avoir délivrés, il leur obtenait du roi des lettres d’affranchissement, puis il leur donnait le choix, ou de s’en retourner chez eux, ou de se faire religieux, et il leur fournissait tout ce qui leur était nécessaire pour l’un de ces partis.
La Vie des Saints : Saint Éloi Tweet
Les excellentes qualités naturelles que le ciel lui avait données ne servirent pas peu à augmenter ce crédit. Le roi, qui découvrait de jour en jour la piété et la vertu de ce fidèle sujet, voulut l’avoir à son service ; et, afin de l’y attacher plus fortement, il exigea de lui un serment de fidélité sur les reliques des Saints.
Éloi voulait être fidèle ; mais, ne voyant aucune nécessité de ce serment, et étant d’ailleurs rempli d’un profond respect pour les Saints et pour les reliques, il supplia humblement Sa Majesté de l’en dispenser. On ne laissa pas néanmoins de le presser de le faire ; mais, comme les larmes lui en vinrent aux yeux, parce que d’un côté il craignait d’offenser son prince et de lui donner quelque défiance de sa conduite, et que, de l’autre, il appréhendait de manquer à la révérence qu’il devait à Dieu et à ses serviteurs, le roi approuva cette délicatesse de conscience.
Bien loin que la faveur d’un si glorieux monarque diminuât en lui l’esprit de dévotion, comme il n’arrive que trop souvent aux gens du monde qui quittent Dieu pour suivre plus commodément le bon vent de la fortune, il entreprit de mener une vie plus réformée et plus spirituelle. Il fit d’abord une confession générale pour noyer dans le sang de Jésus-Christ et dans l’océan de sa divine miséricorde tous les péchés de son enfance et de sa jeunesse ; ensuite, il se mit à mortifier sa chair par des jeûnes, des veilles et d’autres pénitences extraordinaires, afin de se fortifier contre les charmes du monde et contre les dangers auxquels il se voyait exposé. Il passait les jours et les nuits à considérer l’inconstance des choses humaines, la sévérité des jugements de Dieu et la rigueur des peines éternelles de l’enfer, et cette vue lui donnant une sainte horreur de ses offenses, il se frappait rudement la poitrine, arrosait le pavé de ses larmes, poussait des soupirs et des gémissements vers le ciel, et, par des oraisons jaculatoires souvent réitérées, il s’efforçait de fléchir la justice divine qu’il croyait avoir irritée par ses actions.
« Souvenez-vous, Seigneur », disait-il, « que ma vie n’est qu’un souffle et un peu de vent ; pardonnez-moi, mon Dieu, car mes jours ne sont qu’un pur néant. C’est contre vous seul, mon cher maître, que j’ai péché ; ayez pitié de moi selon votre grande miséricorde »
Enfin, après avoir longtemps soupiré et affligé son corps par une sévérité impitoyable, il conjura son Sauveur de lui faire connaître si sa pénitence lui était agréable et si ses péchés lui étaient pardonnés. Il y avait dans sa chambre plusieurs reliques suspendues au plancher, sous lesquelles il faisait son oraison durant la nuit, le corps prosterné contre terre et la tête posée sur un cilice.
Étant une nuit en cette posture humiliée, il s’assoupit pour quelques moments et, pendant ce repos, il lui sembla voir un homme qui lui dit ces paroles :
« Éloi, votre prière est enfin exaucée et vous allez avoir l’assurance que vous souhaitez ».
Il s’éveilla là-dessus et s’aperçut qu’une liqueur très-agréable sortait de l’étui des saintes reliques et tombait sur sa tête, qu’un baume miraculeux coulait le long de sa robe, et il sentit en même temps une odeur si agréable qu’elle surpassait celle de tous les parfums de la terre. Il connut par là que Notre-Seigneur avait usé d’indulgence en son endroit et qu’il avait eu la bonté de le remettre en l’état où il était à son baptême. On ne peut exprimer les actions de grâces qu’il lui en rendit et les résolutions qu’il prit ensuite de travailler avec plus de zèle et d’ardeur que jamais à l’affaire importante de sa sanctification. Ce fut là proprement le fondement de cette éminente perfection où il est monté depuis, et la grâce fut d’autant plus abondante que son humilité avait été profonde.
Il fit à saint Ouen, qui n’était alors qu’un jeune seigneur de la cour, une secrète confidence de la faveur qu’il avait reçue du ciel, et ce récit le toucha tellement qu’il commença dès lors, sur l’exemple d’Éloi, à mépriser les délices et les vanités du monde et à se consacrer de tout son cœur au service de Dieu.
L’affection que Clotaire portait à saint Éloi passa à Dagobert, son fils, et ce prince l’honora de sa familiarité jusqu’au point de quitter la compagnie des évêques et des seigneurs de sa cour, pour se rendre près de lui, afin de jouir quelques moments de sa conversation, où il trouvait des charmes incomparables. Éloi, de son côté, se servait avantageusement de ce temps pour lui inspirer des sentiments de clémence, de piété et de religion ; en effet, il le retira de plusieurs libertés de jeunesse et le porta à de grandes actions de vertu. Cette bienveillance de son roi lui attira l’envie et la haine des méchants, et il y en eut qui tâchèrent par des calomnies de noircir sa réputation ; mais on était si convaincu de sa probité que leurs impostures ne servirent qu’à relever son mérite et à faire paraître sa sainteté avec plus d’éclat. Sa vie était une méditation continuelle des vérités divines ; il avait sans cesse devant les yeux son heure dernière, et cette pensée le faisait toujours marcher dans la crainte et dans l’attention sur lui-même. Il aimait Dieu de toutes les affections et de toute la tendresse de son cœur. Sa charité s’étendait sur ceux qui lui voulaient du mal, aussi bien que sur ceux qui le chérissaient et le comblaient de bienfaits. Nul n’était plus humble et plus modeste que lui et néanmoins on apercevait sur son visage une sainte gaieté qui charmait tous ceux qui avaient le bonheur de lui parler. On ne le vit jamais en colère, ni impatient, ni trop hardi dans ses discours, ni intempérant dans ses repas, ni passionné pour la gloire.
Il implorait à tout moment le secours du ciel, pour éviter le péché, pour persévérer dans le bien et pour se rendre de plus en plus agréable à Notre-Seigneur. Le roi l’occupait à des ouvrages d’orfèvrerie de grand prix et l’on n’épargnait ni l’argent, ni l’or, ni les perles et les pierreries ; mais, durant son travail, il avait toujours un livre ouvert qui lui fournissait des sentences de l’Écriture pour occuper divinement son esprit.
Sa réputation devint si grande et si universelle que les ambassadeurs des princes étrangers, qui venaient à la cour, n’avaient pas plus tôt eu audience du roi qu’ils allaient lui rendre visite, tant pour se concilier sa faveur auprès du prince que pour jouir du bonheur de son entretien. D’ailleurs, les prêtres, les religieux, les pèlerins et les personnes de piété venaient à lui de toutes parts pour implorer son assistance dans leurs besoins, et ils trouvaient toujours dans sa charité le secours et la protection qu’ils demandaient.
Il avait surtout un zèle merveilleux pour la rédemption des captifs, et dès qu’il savait qu’il y avait un esclave à vendre, soit français, soit étranger, il l’achetait de ses propres deniers pour lui donner la liberté. On en amenait quelquefois de si grandes troupes, surtout du pays des Saxons, que son argent ne suffisait pas pour leur rachat ; mais alors il vendait jusqu’à ses provisions, ses habits et ses souliers pour les tirer d’un état si misérable. Après les en avoir délivrés, il leur obtenait du roi des lettres d’affranchissement, puis il leur donnait le choix, ou de s’en retourner chez eux, ou de se faire religieux, et il leur fournissait tout ce qui leur était nécessaire pour l’un de ces partis. Il usait d’une semblable libéralité envers les étrangers et les pèlerins qui manquaient des choses nécessaires à la vie, et souvent il a emprunté de l’argent, engagé ses meubles, vendu ses joyaux et donné son manteau pour ne pas les abandonner dans leurs nécessités.
Que dirons-nous de sa miséricorde envers les pauvres ? Il y en avait toujours un si grand nombre à sa porte, que, lorsqu’on demandait où était son logis, on n’en donnait point d’autre enseigne que ces troupes de mendiants.
« Allez », disait-on, « en telle rue, et où vous trouverez quantité de pauvres, c’est là que demeure le seigneur Éloi ».
Il ne sortait point de chez lui sans avoir une bourse pleine d’argent, afin de les contenter tous et de n’en renvoyer aucun. Il était environné dans les rues, dit saint Ouen, comme une ruche est environnée de mouches à miel ; il retranchait sur son boire et son manger pour avoir de quoi leur faire des aumônes plus abondantes. Il y avait toujours des pauvres à sa table, et, tandis qu’il se contentait d’un peu de pain et d’eau pour sa nourriture, il les traitait splendidement et leur servait de bonnes viandes avec du vin autant qu’ils en avaient besoin. Il faisait à cette occasion, à leur égard, l’office de valet ou de maître d’hôtel. Il les déchargeait de leurs paquets, leur donnait à laver, les faisait asseoir sur de belles chaises, leur apportait et distribuait les mets que l’on avait préparés, et leur présentait à boire. Quelquefois il mangeait leurs restes, assis sur un petit siège au bout de la table ; d’autres fois il ne touchait à rien, mais se tenait toujours debout devant eux comme devant ses seigneurs et ses maîtres. Il n’avait pas moins de bienveillance pour les veuves, les pupilles et les orphelins, et, lorsqu’ils imploraient sa protection, il les servait de tout son crédit et les défendait avec courage contre ceux qui tâchaient de les opprimer par leur puissance.
Il porta quelque temps des habits de soie et des pierreries, selon la coutume des courtisans et pour ne pas paraître singulier, ayant seulement par-dessous un rude cilice qui le piquait continuellement et arrêtait par ce moyen les révoltes de sa chair ; mais depuis, étant plus avancé dans la vie spirituelle, il vendit ce qu’il avait de plus précieux pour l’assistance des monastères et des pauvres, et ne s’habilla plus que fort communément. On lui voyait mettre assez souvent une corde autour de son corps, au lieu de ces ceintures dorées et enrichies de perles et de diamants qu’il avait auparavant. Le roi, qui savait que c’étaient les pauvres qui l’avaient ainsi dépouillé, lui donna quelquefois son propre manteau pour le couvrir et sa ceinture royale pour le ceindre, disant fort sagement qu’il n’était pas raisonnable que ceux qui avaient tout quitté pour Jésus-Christ fussent dans le mépris pour leur trop grande pauvreté ; mais Éloi ne les gardait pas longtemps, et lorsqu’il se présentait des mendiants et qu’il n’avait pas d’autre moyen de les secourir, il s’en défaisait pour leur subsistance.
Il demeurait avec saint Ouen dans le palais royal, à cause de l’affection particulière que Dagobert lui portait ; mais cela ne l’empêchait point de s’acquitter exactement de ses dévotions et de ses exercices spirituels. Si ce prince le demandait dans le temps qu’il faisait son oraison, il l’envoyait prier d’attendre un peu, donnant pour raison qu’il était en affaires avec un plus grand Maître que lui. Il reçut alors le don des larmes, et il en versait avec tant d’abondance, tant pour ses propres fautes que pour les péchés et les misères de son prochain, qu’il semblait que ses yeux s’allaient fondre. S’étant fait une coutume de ne presque point dormir, il passait la plus grande partie de la nuit en contemplation, et le reste, il l’employait au chant des psaumes et à la lecture des livres spirituels. Sa chambre était un sanctuaire rempli d’images et de reliques, où il faisait les mêmes fonctions que les Anges et les Saints font dans le ciel.
La confiance que le roi avait en sa prudence et en sa sainteté fit qu’il l’envoya en ambassade vers le duc de Bretagne, pour négocier une paix solide entre les deux couronnes. Les princes et les seigneurs croyaient ce traité impossible, et que les différends des deux souverains aboutiraient nécessairement à une guerre cruelle ; mais Éloi, dont la prudence était incomparable, conduisit si adroitement sa négociation, qu’il persuada au duc de venir trouver le roi à Clichy, et que, lorsqu’il y fut, il les remit ensemble en très bonne intelligence.
On ne peut dignement représenter les aumônes qu’il fit en ce voyage. Il ne refusa jamais aucun pauvre dans tout le chemin ; il donna aux religieux, aux hôpitaux et aux mendiants tous les présents de son ambassade, et il vendit même, pour les assister, une ceinture d’argent, d’or, de diamants et de broderies, qu’on lui avait persuadé de porter pour soutenir sa dignité d’ambassadeur du roi très-chrétien. Ses intentions étant si pures et sa charité si abondante, non seulement on ne lui refusait rien de ce qu’il demandait, mais souvent on le prévenait et on lui envoyait de grosses sommes, afin qu’il eût de quoi satisfaire à l’étendue de sa miséricorde et le prince lui faisait des présents très considérables, sachant qu’en les lui donnant il les donnait à un nombre infini de nécessiteux.
Une des principales demandes que lui fit saint Éloi fut de lui accorder la terre de Solignac, en Limousin, pour la fondation d’un monastère ; il disait agréablement à Sa Majesté que c’était pour y dresser une échelle par laquelle ils pussent monter l’un et l’autre dans le ciel. Le roi lui en fit le don, et Éloi y fit construire une célèbre abbaye, qui fut dès lors remplie de plus de cent cinquante religieux. Il affectionna depuis tellement cette maison, qu’il y envoyait tout ce qu’il pouvait obtenir du roi et des seigneurs de la cour de sorte qu’on voyait marcher vers ce saint lieu des chariots de vaisselles, d’habits, de couvertures, de linges, de livres et de toutes les autres choses nécessaires à une communauté religieuse. La règle y était gardée dans une si grande pureté, que saint Ouen, qui y fit un voyage, avoua qu’il n’y avait point de monastère en France qui lui fût comparable pour l’observance régulière.
La fondation de cette abbaye étant achevée, il pensa aussitôt à en établir une autre à Paris pour des religieuses ; il consacra à cette bonne œuvre la maison qu’il avait devant le palais et qu’il tenait de la libéralité de Dagobert, et il la changea en un monastère où il assembla jusqu’au nombre de trois cents religieuses sous la discipline de sainte Aure. Il ne manquait plus, pour la perfection de l’édifice, que l’étendue d’une petite cour qui était du domaine du roi. Il en fit lever le plan, afin de savoir au juste ce qu’elle contenait, et il la demanda ensuite à Sa Majesté. Il n’eut pas de peine à l’obtenir ; mais s’étant depuis aperçu qu’on s’était trompé dans la mesure de la terre et qu’il y en avait un pied de plus qu’il n’en avait déclaré au roi, il en fut extrêmement affligé, et, faisant à l’heure même cesser l’ouvrage, il courut au palais lui demander pardon de cette méprise : ce qu’il fit les larmes aux yeux, les genoux en terre et s’offrant à la mort s’il jugeait qu’il l’eût méritée pour cette faute. Le roi ne fut pas peu surpris de cette délicatesse de conscience, et, se tournant vers un grand nombre de seigneurs qui étaient présents :
« Voilà », dit-il, « quelle est la fidélité de ceux qui aiment Jésus-Christ. Mes gouverneurs et rues officiers m’enlèvent souvent, par adresse et à leur profit, des terres et des seigneuries tout entières sans aucun scrupule ; et ce serviteur de Dieu n’a pas osé nous cacher un seul pied de la terre que nous lui avons donnée pour une maison religieuse ».
Pour récompense de sa sincérité, il augmenta du double la donation qu’il lui avait faite. Outre les bâtiments réguliers du monastère, Éloi fit encore construire hors les portes de la ville, du côté de l’Orient, une église magnifique, en l’honneur de l’apôtre saint Paul, pour la sépulture des religieuses, et il la fit entièrement couvrir de plomb. Le corps du bienheureux Quintilien, qui était apparemment directeur de ces saintes filles, y fut enterré, et c’est maintenant une des plus célèbres paroisses de Paris.
Enfin il bâtit, ou plutôt il répara dans la cité l’église de saint Martial, évêque et martyr, et, lorsqu’elle fut achevée, il y fit apporter, avec beaucoup de pompe et de solennité, les reliques de ce glorieux apôtre du Limousin.
Quand elles passèrent devant la prison, où sept hommes accusés de crimes étaient renfermés dans les cachots, elles devinrent si pesantes que celui qui les portait fut obligé de s’arrêter ; en même temps les chaînes de ces misérables se rompirent, et les portes des cachots s’ouvrirent d’elles-mêmes avec un grand bruit, aussi bien que celles de la prison, pour leur donner la liberté. Ce fut un miracle de saint Martial ; mais il parut bien que saint Éloi l’avait prévu, et qu’il y avait grande part, puisqu’il avait voulu que la procession passât par là, quoique ce ne fût pas le chemin ordinaire. Il fit encore un semblable prodige à Bourges, étant évêque ; car il ouvrit, par sa prière, les portes de la prison, en fit sortir les prisonniers, et rompit leurs fers qu’ils avaient portés à l’église, où la crainte d’être repris par leurs gardes les avait obligés de se réfugier.
Ce grand homme, qui ne respirait que la dévotion, prenait un extrême plaisir à fréquenter les monastères et à converser avec les religieux, surtout ceux de la célèbre abbaye de Luxeuil, fondée par saint Colomban et gouvernée par saint Eustase. Il allait souvent les visiter, et il paraissait, parmi ces hommes célestes, comme un modèle de sainteté. Dès qu’il les voyait, il les saluait jusqu’à terre dans un profond sentiment d’humilité. Il les obligeait même à lui donner leur bénédiction ; et, après les avoir comblés de bienfaits, il ne leur demandait en sortant, pour reconnaissance, qu’un morceau de leur pain, qui était toujours très grossier, duquel il prenait tous les jours, à jeun, une bouchée par dévotion, préférant ce mets aux viandes les plus délicieuses qu’on lui aurait servies à la table du roi.
Il jeûnait lorsqu’il était en voyage ou qu’il devait arriver le soir à quelque lieu de piété, et quelquefois même deux ou trois jours auparavant, et marchait une ou deux lieues à pied jusqu’à la porte de l’église.
Avant de monter à une chambre, il envoyait chercher des pauvres, des malades et des pèlerins pour prendre sa réfection avec eux. Il allait souvent au-devant d’eux pour les recevoir et leur témoigner plus d’amitié. Si ces malades ne pouvaient pas marcher, il les faisait apporter, et, lorsqu’ils avaient des plaies, il les pansait de ses propres mains et leur donnait les remèdes qu’il jugeait leur être utiles. Le festin qu’on lui préparait n’était pas pour lui, mais pour ces malheureux ; il se contentait de pain et d’eau mêlée d’un peu de vinaigre et il leur distribuait le vin et les viandes que l’on avait servis, et, après leur repas, il leur lavait humblement les pieds, comme il leur avait auparavant lavé les mains et le visage, puis il leur disposait de bons lits. Durant la nuit, il visitait tous les lieux de dévotion du bourg et du village, et, dans les endroits où il n’y avait point d’église, dès que ses gens étaient endormis, il se levait pour passer le reste du temps en oraison et prosterné sur le plancher. Il se remettait toujours au lit avant le jour, non pas pour y dormir, mais afin que sa mortification demeurant cachée, il évitât l’applaudissement des hommes. C’est ce qu’il faisait aussi dans sa maison et ce qu’il pratiqua fidèlement jusqu’au tombeau.
Cette action d’humilité fut si agréable à Dieu, qu’étant encore dans la vie séculière, il reçut éminemment le don des miracles. Il guérit un homme perclus de tous ses membres, deux boiteux et un pauvre dont une main était devenue sèche ; il rendit la vie à un mort et la vue à un aveugle ; il multiplia si prodigieusement quelques gouttes de vin qui étaient restées dans une bouteille, qu’il en eut assez pour donner à une troupe de mendiants qui lui demandaient l’aumône. Il trouva miraculeusement de l’argent dans sa bourse, après que sa charité l’eut entièrement vidée ; il força des voleurs, par une prière fervente qu’il fit à Dieu, de rapporter, dès la nuit suivante, les plus riches ornements de l’église de Sainte-Colombe, qu’ils avaient dérobés. Enfin, il fit de tous côtés tant de bien, et pour le corps et pour l’âme, qu’on peut dire qu’il était dans la France une source abondante et inépuisable de toutes sortes de bénédictions.
Ses œuvres de piété ne l’empêchaient pas de travailler toujours en orfèvrerie, et, parmi les beaux ouvrages qu’il fit, on remarque surtout les chasses de saint Denis et de saint Germain, évêques de Paris ; de saint Lucien, apôtre de Beauvais ; de saint Piat, saint Quentin, saint Maximien et saint Julien, martyrs ; de saint Martin et de saint Brice, évêques de Tours ; de saint Séverin, abbé ; de sainte Colombe et de sainte Geneviève, vierges ; outre plusieurs ornements qu’il fit encore en diverses églises, et surtout à Saint-Denis.
Son zèle pour la foi catholique était admirable. Quoiqu’il ne fût encore que séculier, il ne laissa pas de procurer, par ses instances, un concile à Orléans contre un hérétique d’Orient qui était venu semer le Monothélisme et d’autres erreurs en France. Il se trouva lui-même à ce concile pour animer les prélats à combattre vigoureusement cet imposteur, et il ne contribua pas peu à sa condamnation. Il chassa encore de Paris et de tout le royaume d’autres apostats qui tâchaient, par leurs discours, de séduire le peuple et de le faire renoncer à la foi de l’Église. Il s’appliqua aussi avec une vigueur admirable à exterminer la simonie qui défigurait presque tous les diocèses. Il exécuta toujours très fidèlement les justes volontés des rois sous lesquels il vécut ; mais quand leurs édits étaient contraires à la justice, il s’y opposait généreusement et leur en faisait des remontrances avec tant d’humilité, qu’ils voyaient bien que le seul amour de l’équité, et non pas un esprit de révolte ou de contradiction, le faisait parler.
« O très saint et très parfait serviteur de Dieu », s’écrie saint Ouen, « que les évêques se sont fait une gloire particulière d’imiter, et qui possédait, dans l’état de laïque, les plus éminentes vertus de l’épiscopat ! En effet, quels nus n’a-t-il pas revêtus ? Quels affamés n’a-t-il pas nourris ? Quels affligés n’a-t-il pas consolés ? Quelles familles ruinées n’a-t-il pas secourues ? Quels pauvres monastères n’a-t-il pas entretenus ? Et ne se fit-il pas donner permission d’enterrer et de faire enterrer tous les criminels qui auraient été exécutés par sentence des juges dans toute l’étendue du royaume ? »
Enfin, un de ses plus grands désirs était de mourir martyr, afin de signer par son sang la foi qu’il avait au fond de son cœur, et de donner par là des marques de l’amour qu’il portait à Jésus-Christ.
Tant de rares vertus le firent élever, d’orfèvre et de séculier qu’il était, sur le siège de l’Église de Noyon, pour en être le père et le pasteur. Il ne passa pas néanmoins tout d’un coup à une dignité si éminente. Il demeura quelque temps dans la cléricature, pour satisfaire aux saints Canons ; après cela, Dieudonné, évêque de Macon, l’ordonna prêtre. Enfin, il fut sacré évêque à Rouen, avec saint Ouen, la troisième année du règne de Clovis II, le 14 mai, où tombait le dimanche avant les Rogations. Dès qu’il eut reçu l’imposition des mains, il se rendit à son diocèse, où ses vertus, dont il avait donné de beaux exemples à la cour, parurent avec un nouvel éclat. Bien loin de diminuer les exercices de sa charité envers les pèlerins et les pauvres, il les augmenta encore. Il avait un lieu où il les recevait par troupes, leur lavait les pieds, les mains et le visage, leur donnait à manger et à boire, les revêtait de neuf et leur faisait de grandes aumônes. Il en avait tous les jours à sa table douze, qu’il servait lui-même avec la plus profonde humilité, et qu’il ne traitait pas avec moins de respect et de soins que s’ils eussent été ses maîtres.
« Je confesse ingénument », dit saint Ouen, à ce propos, « que je n’ai jamais vu une telle promptitude à secourir les membres de Jésus-Christ, ni ouï-dire que personne ait pratiqué les œuvres de miséricorde avec tant d’affection et de persévérance. En effet, il s’en trouve qui les exercent quelquefois en de certains temps ; mais, d’en voir qui les continuent sans jamais se relâcher, comme saint Éloi, c’est ce qui est bien rare et presque sans exemple ».
Comme son diocèse s’étendait bien avant dans les Pays-Bas, où l’idolâtrie régnait encore en plusieurs endroits, le zèle dont il brûlait pour le salut des âmes ne lui permit point de demeurer longtemps sans s’y transporter pour y travailler à leur conversion. Il y trouva d’abord beaucoup de résistance ; mais sa patience et son assiduité à prêcher la parole de Dieu le rendirent enfin victorieux de l’opiniâtreté de ses peuples. Il leur fit connaître Jésus-Christ, leur persuada les maximes sacrées de l’Évangile, et leur fit quitter le culte des démons, pour ne plus adorer qu’un seul Dieu subsistant en trois personnes. Il ne borna pas sa charité aux habitants de sa province, il entreprit aussi d’attirer à la foi ceux d’Anvers, les Frisons et les peuples répandus sur les côtes de l’Océan Germanique. Il alla même jusqu’en Danemark et en Suède y porter le flambeau de la foi, et partout il dissipa les ténèbres de l’ignorance et les erreurs de la superstition païenne. Les temples des faux dieux furent changés en des églises et les solennités profanes en des fêtes saintes et religieuses. Il fonda des monastères, assembla des Congrégations de vierges, ordonna des prêtres et des ministres inférieurs, qu’il distribua dans les paroisses, et s’acquitta enfin, dans ces lieux, de toutes les fonctions apostoliques.
Étant retourné dans son diocèse, il s’appliqua avec un nouveau soin à le bien conduire. Il prêchait souvent, et sa parole avait une force et une énergie merveilleuse ; mais son exemple faisait encore plus d’impression sur les cœurs que tous ses discours. Il n’avait de la rigueur que pour lui-même, car il usait toujours d’une douceur et d’une débonnaireté admirable envers les autres, et souvent cette douceur a gagné ceux qu’une trop grande sévérité aurait découragés et précipités dans le désespoir. Cependant, lorsqu’il y allait de la gloire de Dieu, sa fermeté n’était pas moindre que sa patience. Un domestique d’Ébroïn, maire du palais, s’appuyant sur l’autorité de son maître, voulait usurper un bois qui était du domaine de l’église de Noyon et traitait fort indignement saint Eloi pour l’obliger de le lui céder ; le saint évêque souffrit avec une extrême modération toutes ces injures ; mais il tint toujours bon, et refusa constamment de consentir à cette usurpation.
« Mon ami », lui dit-il, « vous devriez réprimer votre convoitise et rougir de honte devant Dieu et devant les hommes de désirer comme vous faites un bien qui appartient à Jésus-Christ. S’il était à moi, je vous le donnerais bien volontiers ; mais je ne puis permettre que vous ravissiez ce qui est destiné à l’usage des pauvres ; si vous passez outre, et que vous vous en mettiez en possession, je saurai bien user contra vous du glaive de l’Église et vous en retrancher par la sévérité des censures ecclésiastiques ».
Cet homme ne fit que rire de ses menaces, et, sans s’en mettre en peine, il alla pour s’emparer du bois qu’il souhaitait. Alors saint Éloi étendit la main vers cet incorrigible, et fulmina contre lui la sentence d’excommunication ; à l’heure même la Justice divine le frappa de telle sorte, qu’il tomba par terre comme mort et ne donna plus aucun signe de vie. On fit de grandes instances à saint Éloi, afin qu’il priât pour lui et qu’il lui obtînt le temps de faire pénitence ; mais saint Ouen avoue qu’il n’a pu savoir s’il le fit en effet, ou si, pour la terreur des impies, il abandonna celui-ci aux rigueurs de la colère et de l’indignation de Dieu.
Prêchant le jour de Saint-Pierre dans une paroisse proche de Noyon, il invectiva d’une force extraordinaire contre les danses et les autres jeux du peuple qui tenaient encore beaucoup du paganisme et les défendit absolument. Les habitants du village se remuèrent là-dessus, et, ne pouvant souffrir qu’on leur ôtât ces divertissements qui venaient d’une coutume immémoriale, ils prirent la résolution de massacrer leur saint pasteur, s’il persistait dans son commandement. On l’avertit de cette conspiration ; mais, bien loin de rétracter son ordre ou de s’éloigner d’un lieu si dangereux, il y retourna à la première fête, animé d’un ardent désir d’endurer le martyre, et il prêcha avec encore plus de véhémence qu’auparavant contre leurs réjouissances superstitieuses. On lui dit sur cela mille injures et on le menaça hautement de le mettre à mort ; mais il ne s’étonna point de ces menaces, et le zèle apostolique dont il était rempli lui fit adresser à Jésus-Christ cette fervente prière :
« Je vous supplie, mon Dieu, que ceux qui ont la témérité de s’opposer à vos commandements et qui aiment mieux obéir aux lois de Satan que de se soumettre à votre divine volonté, soient maintenant possédés du malin esprit, tant pour donner de la terreur aux autres, qu’afin que vos fidèles serviteurs exaltent la gloire de votre nom ».
À peine eut-il prononcé ces paroles, que tous ceux qui se préparaient à mettre la main sur lui, furent saisis par des démons qui commencèrent à les tourmenter d’une manière épouvantable, particulièrement les domestiques d’Erchinoald, maire du palais ; et ces misérables, qui étaient plus de cinquante, demeurèrent un an entier dans ce pitoyable état, jusqu’à ce qu’à pareil jour de l’année suivante, le Saint s’étant encore rendu en ce village, et, voyant les esprits parfaitement soumis, les fit venir publiquement en sa présence, et, après une sévère réprimande, les délivra par le signe de la croix et l’eau bénite.
En visitant son diocèse, il interdit une église dont le prêtre était vicieux et donnait beaucoup de scandale. Cet ecclésiastique, se moquant de son interdit, ne laissa pas de vouloir dire sa messe et chanter les divins offices à l’ordinaire ; il voulut pour cela sonner la cloche, afin d’assembler son peuple ; mais, comme si elle eût été sensible à la parole du saint prélat, elle ne rendit de son qu’au bout de trois jours, parce que, à l’instance des habitants, qui lui protestèrent que leur prêtre avait fait pénitence et était dans la résolution de vivre avec plus de piété, il leva l’interdit et permit de célébrer selon la coutume. Alors la cloche se fit entendre et recommença à convoquer le peuple comme auparavant.
Un autre prêtre, qu’il avait excommunié pour ses crimes publics et infâmes, ayant eu, nonobstant cette censure, la témérité d’aller à l’autel, tomba raide mort sur les marches, et fit voir par ce châtiment terrible combien Dieu punira sévèrement ses ministres qui, par un attentat sacrilège, auront eu la témérité de dire la messe en état de péché mortel.
Nous n’aurions jamais fini, si nous voulions rapporter tous les autres prodiges de cet homme incomparable. Souvent, par un seul commandement, ou même par sa seule présence, il obligea le démon de sortir des corps des possédés. Il rendit sec et stérile par sa parole un noyer dont le maître, querelleur et impatient, lui faisait tous les jours de grandes insultes pour quelques noix que ses domestiques avaient abattues, et que ni la réprimande qu’il leur en avait faite, ni trois pièces d’or qu’il lui avait donné pour le dédommager, n’avaient pu apaiser. Un de ses officiers étant malade à la mort, il lui ordonna de se lever pour se mettre en voyage avec lui, et à l’instant même il se leva en parfaite santé. Il guérit aussi, par son seul attouchement, un de ses diacres qui avait un mal de côté insupportable et qui le rendait entièrement étique.
Le don des miracles ne fut pas le seul qu’Éloi reçut de Dieu ; il eut encore celui de prophétie dans un degré fort éminent ; les choses éloignées ne lui étaient pas moins connues que celles qui se passaient devant ses yeux, et il voyait l’avenir aussi bien que le présent. On lui raconta qu’un scélérat, nommé Flavaud, avait cruellement mis à mort un très vertueux gentilhomme de Bourgogne, nommé Willebaud ; il dit à ses amis :
« Ce gentilhomme était un véritable serviteur de Dieu, et il jouit présentement dans le ciel d’une vie immortelle ; mais pour Flavaud il mourra dans dix jours d’une mort imprévue et funeste » ;
Ce qui arriva effectivement. Il prédit aussi la mort de Simplicius, évêque de Limoges, et que Félix serait élu en sa place ; celle d’Aribert et de Dagobert, rois de France ; la naissance de Clotaire III, qu’il tint sur les fonts de baptême, et le règne des enfants de Clovis. Il avertit un abbé, qui était venu le voir, que le démon faisait en son absence de grands désordres dans son monastère. En effet, il trouva à son retour que douze de ses religieux avaient quitté l’habit et étaient retournés dans le monde. Mais la plus éclatante de ses prédictions fut celle du décès d’Erchinoald, maire du palais. Ce seigneur le pria de l’accompagner dans un voyage qu’il faisait pour quelque affaire importante ; il y fut contre son inclination, parce qu’il prévoyait bien que l’issue n’en serait pas heureuse. Comme il se promenait une nuit avec son diacre devant la porte de l’hôtel où ils étaient logés, méditant quelques versets des psaumes, il vit descendre du ciel une colonne de feu qui sembla pénétrer avec beaucoup de véhémence dans la chambre d’Erchinoald. Il dit alors à son diacre que ce ministre mourrait bientôt ; en effet, il fut frappé à l’heure même d’une fièvre violente, laquelle, en peu de jours, le conduisit au tombeau. Dans les ardeurs de cette fièvre, il fit appeler saint Eloi pour se recommander à ses prières, espérant qu’elles lui obtiendraient la santé. Mais le bienheureux prélat lui dit ouvertement qu’il n’avait plus que fort peu de temps à vivre, et que sa seule application devait être de se préparer à bien mourir ; qu’au reste, s’il voulait sauver son âme, il fallait qu’il exécutât avant cette heure ce qu’il n’avait jamais voulu faire pendant sa vie, savoir, de donner aux pauvres tout l’or et l’argent qu’il avait amassé sur le peuple par ses exactions injustes, parce que tout ce qu’il en laisserait dans ses coffres ne lui servirait qu’à sa condamnation. Le moribond vit bien que cela était nécessaire ; mais il apporta tant de délai à se déterminer là-dessus, qu’il expira sans avoir accompli un conseil si salutaire. Saint Éloi, néanmoins, fit enlever son corps et lui donna une honorable sépulture dans l’église du mont Saint-Quentin, près de Péronne, que saint Foursy avait fait bâtir des grandes aumônes qu’il avait reçues de lui. Ce seigneur, en effet, avait paru libéral envers les pauvres et les monastères. Mais que servent les libéralités qui se font des biens pillés sur le peuple, si l’on ne restitue tout ce que l’on a pris, et si on ne le restitue à ceux que l’on a dépouillés injustement ?
Outre les églises et les maisons religieuses dont nous avons dit que notre Saint fut le fondateur, il fit encore bâtir à Noyon le monastère de Saint-Martin. Il amplifia celui de Saint-Pierre de Gand, au mont Blandin. Il assembla des ermites sur une montagne, à deux lieues d’Arras, que l’on a nommée depuis le mont Saint-Éloi. Il érigea divers oratoires à Aldembourg, Rothenbourg, et à Bruges. Il consacra en cette dernière ville l’église de Saint-Sauveur, et à Courtrai celle du monastère de Saint-Martin. Enfin, il savait tellement engager les rois et les princes dans ces œuvres de piété, que beaucoup d’autres ne furent faites qu’à son instance et par ses soins.
Il reçut de Dieu un don spécial, de trouver les corps des Saints que l’on honorait auparavant, sans savoir où étaient leurs reliques. Il fit l’heureuse découverte des dépouilles sacrées du martyr saint Quentin ; il découvrit, par un semblable bonheur, celles de saint Piat, à Seclin, celles de saint Lucien, à Beauvais, et il leur fit de ses propres mains des châsses d’un précieux métal, enrichies de pierres précieuses, de même qu’à saint Crépin et saint Crépinien, à Soissons.
Enfin, après avoir mené une vie si exemplaire et si sainte, entrepris tant de travaux pour la conversion des peuples, et exercé tant d’œuvres de piété et de miséricorde, étant âgé de soixante-dix ans, il eut révélation de sa mort. Alors il apporta de nouveaux soins à s’y bien disposer, persuadé que l’on ne peut être trop pur pour paraître au jugement de Dieu. La veille de son décès, il fit venir ses disciples et ses domestiques, et les exhorta puissamment à la crainte et à l’amour de Notre-Seigneur, à ne perdre jamais de vue les douleurs de sa Passion, ni les rigueurs de son dernier tribunal, à observer fidèlement sa loi et à se mettre tous les jours en l’état qu’ils voudraient être à l’heure de la mort. Il leur recommanda aussi les monastères et les maisons de dévotion qu’il avait bâtis pour le salut des âmes et pour l’honneur de l’Église ; puis, se prosternant en terre, il fit cette prière à Dieu :
« Je vous prie, divin Pasteur, de donner à ce peuple que je vais quitter un père selon votre cœur, et de l’environner vous-même de votre miséricorde ; soutenez-le de votre protection ; guidez-le par vos inspirations, et ne cessez point de le conduire par la voie des commandements ».
Il les embrassa ensuite tous l’un après l’autre, et leur donna le dernier adieu. Enfin, le jour suivant, en disant ces paroles de l’Écriture :
« Seigneur, laissez maintenant aller votre serviteur en paix, et n’entrez point en jugement avec moi ».
Il expira dans la ferveur de sa prière et parmi les larmes et les gémissements de ses enfants. Ce fut le 1er décembre, à une heure de nuit, l’an de Jésus-Christ 659.
Plusieurs virent son âme monter dans le ciel au milieu d’une grande lumière, et prendre, avant qu’ils le perdissent de vue, la forme d’un globe de feu surmonté d’une croix beaucoup plus brillante que les rayons du soleil. La reine sainte Bathilde, ayant appris sa maladie, se mit aussitôt en route avec le roi et les princes, ses enfants, pour avoir la consolation de le voir encore une fois ; mais elle n’arriva à Noyon que le lendemain de son décès. Son dessein était de faire porter son corps en son abbaye de Chelles, et elle fit faire pour cela des prières et un jeûne de trois jours ; mais Dieu ne permit pas qu’on l’enlevât de Noyon. Lorsqu’on voulut le transporter, il devint si pesant qu’il n’y eut aucun moyen de le remuer.
Le corps de saint Éloi fut enterré dans l’église de Saint-Leu, qui avait été le lieu le plus ordinaire de ses dévotions. Sa pompe funèbre fut si magnifique, qu’on n’en avait jamais vue de si illustre dans le royaume. Le roi et la régente, avec tous les princes et les seigneurs de la cour et quantité d’évêques, y assistèrent. Mais ce qui la rendit encore plus éclatante, ce furent les troupes de captifs délivrés, des pauvres nourris et des veuves entretenues de ses aumônes, qui poussaient des cris jusqu’au ciel pour la perte qu’ils faisaient d’un si bon pasteur. Les miracles qui se firent à son tombeau par son intercession, et les chaînes des prisonniers qui se brisèrent toutes, lorsqu’on les mena devant sa basilique, relevèrent encore merveilleusement l’éclat de ses mérites.
Les reliques de saint Éloi reposent dans la cathédrale de Noyon à laquelle elles furent adjugées par arrêt du parlement de Paris, contre les religieux de l’abbaye de Saint-Leu, qui avait pris dès lors le nom de Saint-Eloi, l’an 1462. Elles sont conservées dans une châsse de bois doré, sous le maître-autel de l’ancienne cathédrale. Son chef, qui avait été donné à l’abbaye de Chelles, se trouve, depuis la destruction de ce monastère, dans l’église paroissiale de Saint-André, du même lieu. Plusieurs autres églises se glorifient de posséder quelques parties de ses riches dépouilles, comme Saint-Barthélemy de Noyon, Saint-Sauveur de Bruges, Saint-Martin de Tournai, Saint-Pierre de Douai et la cathédrale de Paris, à laquelle un ossement d’un de ses bras fut donné en 1212, comme il est porté dans le bréviaire du diocèse.
Enfin, la mémoire de ce grand prélat, l’un des plus illustres du royaume, y est toujours très célèbre aussi bien qu’en Flandre, et l’on y voit des églises et des chapelles bâties et des confréries érigées en son honneur.
Saint Éloi est représenté : 1°) debout, tenant un marteau surmonté d’une petite couronne. Dans le fond, ses ouvriers fabriquent une châsse et d’autres objets ; 2°) tenant un marteau et la crosse ; 3°) en face d’une potence où se voit un pendu qu’il semble bénir ; 4°) couché, ayant un songe pendant lequel il voit le soleil et la lune accompagnés de trois étoiles ; 5°) travaillant dans son atelier. Saint Eloi est patron d’Anvers, de Béthune, de Bologne, de Dunkerque, de Limoges, de Marseille, de Noyon, de Paris ; et des orfèvres, forgerons, maréchaux, vétérinaires, selliers, charrons, chaudronniers, couteliers, horlogers, serruriers, mineurs, éperonniers, carrossiers, cochers, fermiers, maquignons, taillandiers, batteurs d’or, doreurs, ferblantiers, monnayeurs, laboureurs et valets de ferme. On l’invoque pour les chevaux et contre les chevaux méchants.
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