La Vie des Saints

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D’après les Bollandistes, le père GIRY, les propres des diocèses et tous les travaux hagiographiques. Vies des Saints de l’Ancien et du Nouveau Testament, des Martyrs, des Pères, des Auteurs Sacrés et ecclésiastiques, des Vénérables, et autres personnes mortes en odeur de sainteté.

Histoire des Reliques, des pèlerinages, des Dévotions populaires, des Monuments dus à la piété depuis le commencement du monde jusqu’aujourd’hui.

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La Vie des Saints Webp

Saint Élie de Thésbé,

Saint Élie

Élie est, comme Hénoch, un Saint qui n’est pas encore mort, et qui ne jouit pas encore de la vue bienheureuse de Dieu : la divine Providence le réservant, avec Hénoch, pour prêcher le dernier avènement de Notre-Seigneur à la consommation de tous les siècles. L’Église latine et l’Église grecque, qui ne doutent nullement de sa confirmation dans la grâce, de son grand crédit auprès de Dieu, et de la gloire inestimable qui lui est préparée dans le ciel, en font mémoire tous les ans dans ce jour, en implorant le secours de ses prières, et en célébrant dans plusieurs endroits l’office divin et le saint sacrifice de la messe en son honneur ; il est donc juste de lui donner place au milieu de tant de Prophètes, d’Apôtres, de Martyrs et de Confesseurs qui ont eu part à son esprit et qui se sont tenus très-glorieux de pouvoir imiter son zèle. Nous en parlerons d’autant plus sûrement, que nous avons pour auteur de sa vie le Saint-Esprit lui-même, qui nous a décrit ses actions dans le IIIe et le IVe livre des Rois, et nous en a encore fait un fort bel éloge dans celui de l’Ecclésiastique.

Le nom de Thesbite, qu’il lui donne, nous fait connaître qu’il est de Thesbé, petite ville limitrophe entre la Palestine et l’Arabie, dans le pays de Galaad. Saint Epiphane, évêque de Salamine, en Chypre, le dit de la tribu d’Aaron, ce qui se peut entendre, ou en général de la tribu Lévitique, qui était celle d’Aaron, ou en particulier de la famille d’Aaron, dans la même tribu. Quelques auteurs lui donnent pour père Achimaas, fils du grand prêtre Sadoch et frère du grand prêtre Joïada, que leurs mérites ont rendus si fameux dans les saintes Écritures, et pour mère, Basemath, fille du roi Salomon, que l’Écriture nous assure avoir épousé le prince Achimaas. Mais le même saint Epiphane appelle son père Sobach et ne parle point de cette illustre généalogie.

D’après saint Epiphane, l’abbé Dorothée, dans son Abrégé de la vie et de la mort des Prophètes, et Siméon Métaphraste, au temps de sa naissance, son père vit autour de lui des anges sous la forme humaine et revêtus d’habits blancs, qui l’emmaillotaient dans le feu et lui donnaient du feu à manger. C’était un présage de son zèle. Quelques auteurs même en concluent qu’Élie avait été sanctifié dès le sein de sa mère, de même que Jérémie et saint Jean-Baptiste, parce que les anges n’eussent pas rendu ces devoirs à un enfant ennemi de Dieu et souillé du péché originel. On l’appela Élie, qui signifie Dieu, Seigneur, pour marquer l’excellence de sa vocation, et que son unique exercice serait de manifester les grandeurs de Dieu, de faire adorer sa majesté, de détruire les ennemis de son nom et d’établir son domaine et son culte dans toutes les nations de la terre. Après n’être demeuré que peu de temps dans la maison de ses parents, il embrassa la manière de vivre des Nazaréens, et se retira avec les serviteurs de Dieu, que l’on appelait Prophètes ; extraordinairement rempli de l’esprit de prophétie, il brilla parmi eux comme un soleil au milieu des étoiles. À cette époque, la terre promise, qui avait été donnée en possession aux Israélites, était divisée en deux royaumes, dont l’un, appelé le royaume de Juda, appartenait à la postérité de David par son fils Salomon, et l’autre, appelé le royaume d’Israël, appartenait aux successeurs de Jéroboam, qui l’avait usurpé sur Roboam, fils du même Salomon. Le culte de Dieu s’était un peu maintenu dans le premier royaume, où étaient le temple, le tabernacle, l’arche d’alliance, les vases sacrés et le droit des sacrifices ; mais la malice des rois d’Israël, qui se laissèrent aller à l’idolâtrie, l’avait presque entièrement banni du second, et l’on ne s’y contentait pas d’adorer les deux veaux d’or que Jéroboam avait fait dresser à Béthel et à Dan ; mais on y adorait toutes les abominations des peuples d’alentour, entre autres Baal, démon qui se faisait reconnaître pour Dieu parmi les Sidoniens. Ces impiétés exécrables exercèrent longtemps le zèle du divin Élie. Quoique l’Écriture ne nous rapporte point ce qu’il fit avant le règne d’Achab, néanmoins, puisqu’elle nous le présente au commencement de ce règne comme un homme qui s’était déjà rendu redoutable aux princes et aux rois, et que tout le monde révérait comme un prophète extraordinaire, elle nous donne sujet de croire qu’il avait dès lors prêché avec zèle, et que Dieu avait fait par lui des actions surprenantes qui le distinguaient du commun des autres Prophètes.

Achab, fils d’Amri, étant monté sur le trône, et ayant épousé Jézabel, fille du roi des Sidoniens, renchérit encore sur la superstition de ses prédécesseurs, et, pour contenter cette méchante femme, qui joignait la fureur à l’idolâtrie et la cruauté à l’impiété, il fit bâtir un temple et planter un bois en l’honneur de Baal, et désigna huit cent cinquante prêtres pour chanter ses louanges et lui offrir des sacrifices. Élie, ne pouvant souffrir cette abomination, le vint trouver dans l’esprit de Dieu, et, jugeant tout préambule inutile en présence de ce cœur endurci, il lui dit :

« Vive le Seigneur, Dieu d’Israël, qui me voit ! Il n’y aura, ces années-ci, ni rosée, ni pluie, que par un ordre de ma bouche ».

Puis, afin d’échapper à la colère et aux recherches de ce prince, il se retira dans le désert, sur la foi de la même voix qui lui dit :

« Va du côté de l’Orient, cache-toi près du torrent de Carith, vis-à-vis du Jourdain, tu boiras de l’eau du torrent ; j’ai commandé aux corbeaux de te nourrir ».

Là, soir et matin, des corbeaux apportaient au Prophète les viandes et le pain nécessaires, et l’eau courante lui fournissait son breuvage. Quelque temps après, le torrent se trouva desséché ; car le ciel était d’airain, et il n’en tombait aucune pluie. Alors la voie amie du Prophète lui dit :

« Quitte ces lieux, va-t’en à Sarepta, chez les Sidoniens, et demeures-y ; j’ai prescrit à une femme veuve de t’y nourrir ».

Celui qui donne la vie et les aliments à un faible insecte, et qui a revêtu le soleil d’une si éclatante splendeur, ne délaisse jamais l’homme, la plus noble de ses créatures visibles, et quand les lois ordinaires de la nature semblent trahir les vues de sa providence toujours pleine de tendresse, il y supplée quelquefois par des prodiges qui ne sont qu’un jeu de son bras puissant, mais qui deviennent pour nous la preuve irréfragable de son intervention dans la marche et le développement de nos destinées ; car, s’il opère un miracle pour envoyer à l’homme le pain matériel qui soutient la vie du corps, que n’aurait-il pas fait pour lui envoyer la vérité, ce pain spirituel qui, sous la forme de la parole, communique la vie aux âmes ?

Élie partit pour Sarepta. C’était une bourgade de la Phénicie, placée entre Tyr et Sidon, mais plus proche de cette dernière ville, sur les bords de la Méditerranée, au pied des collines gracieuses et couvertes de verdure, en face des cimes découpées du Liban. À son arrivée, avant d’entrer à Sarepta, le Prophète aperçut une femme qui recueillait du bois. Il l’appela :

« Donne-moi à boire un peu d’eau ».

Et, comme elle allait lui en chercher, il ajouta :

« Je t’en prie, apporte-moi aussi un peu de pain ».

Il comprit sans doute, à l’empressement de cette femme, que c’était la veuve dont Dieu lui avait fait espérer la bienfaisance hospitalière. Mais elle répondit : « Le Seigneur ton Dieu est vivant ! Je n’ai pas de pain ; il me reste seulement de l’huile dans un petit vase, et autant de farine qu’il en peut tenir dans le creux de la main. Je viens ramasser quelques morceaux de bois pour préparer à mon enfant et à moi un dernier pain à manger, et nous attendrons la mort ». La sécheresse avait amené la disette, et le royaume de Sidon, patrie de Jézabel, participait aux châtiments comme aux crimes du royaume d’Achab.

« Ne crains rien », dit le Prophète à la veuve indigente ; « va faire ce que tu dis ; du reste de la farine prépare pour moi d’abord un léger pain cuit sous la cendre, et apporte-le-moi ; ensuite, tu en prépareras pour toi et ton fils. Car voici ce que dit Jéhovah, roi d’Israël : « Le vase de farine ne manquera pas, et le petit vaisseau d’huile ne diminuera point, jusqu’au jour où le Seigneur fera tomber la pluie sur la terre ».

La femme crut à cette promesse de l’étranger, et suivit ses ordres. Depuis ce jour, en récompense de sa foi et pour vérifier la parole du Prophète, la farine ne manqua point, l’huile ne fut pas diminuée dans la maison de la veuve, et ce qui suffisait à peine pour un repas soutint, durant trois ans, l’existence d’Élie et de ses hôtes.

Il arriva, dans cet intervalle, que le fils de la veuve fut attaqué d’une maladie violente et s’éteignit. Égarée par la douleur ; la pauvre mère adressa des reproches à Élie, comme s’il eût été la cause d’une si grande calamité.

« Que t’ai-je donc fait, homme de Dieu ? Es-tu venu chez moi pour faire souvenir le ciel de mes iniquités et appeler la mort sur mon fils ? ».

Et elle tenait l’enfant sur son sein et le couvrait de ses larmes. « Donne-moi ton enfant », dit le Prophète tout ému de pitié. Il le reçut des bras de sa mère, le porta dans la chambre qu’il habitait, et le posa sur son lit.

« Jéhovah, mon Dieu », s’écria-t-il, « cette veuve qui prend soin de me nourrir, voulez-vous l’affliger jusqu’à lui ravir son fils ? Jéhovah, mon Dieu, faites, je vous prie, que l’âme revienne animer ce corps ». 

Et il se coucha, par trois fois, sur l’enfant, se rapetissant, pour ainsi dire, à la mesure du cadavre, comme pour le réchauffer et y rallumer la vie. Sa prière fut entendue, et le cadavre se ranima. Élie revint dans la chambre où était restée la mère inconsolable, et lui dit :

« Voilà ton fils ; il est vivant ! »

Alors les yeux de cette femme se sentirent frappés d’une lumière supérieure à celle que revoyait l’enfant ressuscité ; et s’adressant à l’homme des prodiges :

« Je reconnais à ceci, maintenant, que tu es l’homme de Dieu et que tu as sur les lèvres la vraie parole du Seigneur ».

Cet enfant réveillé du sommeil de la mort par le contact vivifiant du Prophète, n’est-ce pas le symbole de l’humanité plongée dans la mort de l’âme, et vers laquelle Dieu s’abaisse et descend par l’incarnation, lorsqu’il se fait homme et raccourcit en quelque sorte sa majesté voilée sous les proportions de la créature, pour rappeler à la vie céleste notre intelligence enveloppée de ténèbres comme d’un linceul, et notre cœur enseveli dans sa perversité comme dans un tombeau ? Et cette femme indigente, qui, sans appartenir au peuple de Dieu, reçoit de la bouche même d’un grand Prophète les enseignements de la vraie religion, ne montre-t-elle pas, comme un témoignage expressif, la riche et souveraine action de la Providence, qui ne refuse à personne les secours nécessaires, mais ne s’interdit pas non plus les affections privilégiées, et qui, loin d’établir en tout la roide égalité follement rêvée par les hommes, frappe tous les mondes des reflets de sa pensée infinie et y jette les distinctions les plus prononcées et les plus harmonieuses ; ici, éclairant de la foi une à une inconnue des savants ; là, faisant descendre le génie ou la beauté dans la cabane d’un pâtre ; ailleurs, attachant au front des étoiles un diadème de lumière incorruptible, et versant sur les fleurs si fragiles de longs flots de parfums.

Cependant, la famine était horrible à Samarie, et une sécheresse de trois ans faisait périr en foule les animaux.

« Va trouver Achab » dit Dieu au Prophète ; « je vais envoyer la pluie sur la terre »

Elie obéit.

« N’es-tu pas », lui dit Achab en l’apercevant, « celui qui met le trouble dans Israël ? »

« Ce n’est pas moi qui trouble Israël », répliqua l’homme de Dieu ; « mais c’est toi et la maison de ton père, lorsque vous avez quitté la loi du Seigneur et suivi Baal. Toutefois, donne des ordres et rassemble sur le mont Carmel tout le peuple et les quatre cent cinquante prophètes de Baal, et ces quatre cents prophètes des lois sacrés, que Jézabel nourrit de sa table ».

Lorsque tous furent réunis, Elie prouva tellement sa mission et la ridicule impuissance des idoles, que le peuple, frappé d’admiration, s’écria :

« Jéhovah est le vrai Dieu ! Jéhovah est le vrai Dieu ! »

« Alors », reprit le brûlant vengeur des droits de l’Éternel, « saisissez les prophètes de Baal, et que pas un ne survive ».

En effet, ils furent tous immolés au pied du Carmel, sur les bords du Cison. Le ciel apaisé s’ouvrit, et, à la prière d’Elie, une pluie abondante inonda la terre. 

Jézabel, ayant appris d’Achab même le massacre de ses prêtres, entra dans une nouvelle fureur et jura qu’elle s’en vengerait sur la tête d’Elie. Le Prophète eut peur ; car il savait ce qu’on peut craindre de l’humeur vindicative et de la fierté blessée d’une femme aussi âpre à la vengeance que l’était Jézabel. Dans son effroi, il fuyait irrésolu et troublé, lui qu’on avait vu si plein d’assurance et de courage devant Achab. C’est que l’originelle faiblesse se trahit toujours par quelque endroit, même dans les grands hommes et dans les Saints, soit que le fardeau d’une destinée illustre les fasse chanceler, soit que Dieu leur laisse, dans leurs propres imperfections, un préservatif contre l’orgueil, comme ces magnanimes Romains qui plaçaient des insulteurs officiels à côté du triomphateur, pour le faire souvenir qu’il était homme.

Elie gagna l’extrémité méridionale de la Palestine, et, après soixante lieues de chemin, il se trouva dans les déserts de l’Arabie Pétrée. Il y marcha tout un jour ; enfin, épuisé de fatigue, il s’assit sous un genièvre et souhaita la mort :

« Seigneur », dit-il, « c’est assez ; prenez ma vie, car je ne suis pas meilleur que mes aïeux ».

Ce rude voyage, la méchanceté consommée d’Achab et de Jézabel, la religion s’éteignant dans le royaume, l’oppression des justes et la prospérité des méchants, tout rendait au Prophète l’existence amère et insupportable. Sous l’ombre du genièvre, il s’endormit. Un ange vint, le toucha et lui dit :

« Lève-toi et mange ».

Elie regarda, et vit posé près de sa tête un pain cuit sous la cendre et un vase d’eau ; il prit donc un peu de nourriture et s’endormit encore. Une seconde réfection suivit ce second sommeil. Puis, fortifié par l’aliment céleste, le voyageur, au bout de quarante jours, toucha le mont Horeb, voisin du Sinaï, région pleine de merveilleux souvenirs, où Dieu, descendu sous forme de flamme dans un buisson ardent, daigna converser avec son serviteur Moïse ; où, porté par la foudre, il ébranla sous son char embrasé la cime de la montagne, et vint promulguer sa loi aux oreilles de toute une nation.

Près de l’Horeb, Elie eut une vision : Dieu lui apparut. Un vent impétueux passa, puis il se fit un tremblement de terre. Enfin la flamme étincela, comme pour faire voir sans doute que le Seigneur peut, à son gré, abattre, briser et foudroyer les méchants ; mais nulle voix ne sortit du sein de ces éléments troublés. Bientôt après, il s’éleva un vent doux et léger ; sous ce symbole se cachait la force de Dieu, qui est miséricorde et patience. Et une voix dit :

« Reprends ta route, et va par le désert à Damas ; arrivé là, tu sacreras roi de Syrie Hazaël. Tu sacreras aussi roi d’Israël Jéhu, fils de Namsi, et tu sacreras Prophète pour te succéder Elisée, fils de Saphat, qui est d’Abelmëula. Quiconque échappera au glaive d’Hazaël, Jéhu le tuera ; quiconque échappera au glaive de Jéhu, Elisée le tuera … »

Il y a quelque apparence qu’il n’exécuta les deux premiers ordres, du Seigneur que par le ministère de ses disciples. Pour le troisième, il l’exécuta lui-même bientôt après ; car, au retour de la montagne d’Horeb, il rencontra Elisée à la campagne où il s’occupait à labourer la terre, et lui mit son manteau sur les épaules, en signe de l’élection divine, et comme pour l’investir de l’esprit prophétique. Elisée comprit ce langage : un mystérieux commerce venait de s’établir entre les deux âmes. Il quitta la charrue :

« Laisse-moi », dit-il à Elie, « embrasser mon père et ma mère, et je te suivrai ».

« Va, et reviens », répondit l’énergique interprète de Dieu ; « pour moi, j’ai fait ce que je devais ».

Elisée, donnant à entendre qu’il renonçait sans retour à la vie ordinaire, tua ses bœufs, en fit cuire les chairs sur sa charrue brisée, et les distribua à ses voisins, en manière d’adieu. Puis, il suivit Elie avec la docilité d’un disciple qui s’attache à son maître.

Les deux Prophètes se retirèrent sur le mont Carmel, dans des grottes dont la principale porte encore aujourd’hui le nom d’Elie. Taillée de main d’homme en forme de salle carrée, haute et vaste, elle regarde la mer, qui fait entendre au loin le mugissement de ses flots : c’est le seul bruit qui résonne dans cet austère séjour. Près de là, sur une pente embaumée de la montagne, entre des arbustes odorants, coule une fontaine qui s’est creusé, çà et là, des bassins dans le roc vif : image de la vie religieuse qui passe inconnue aux hommes, mais toute chargée de parfums célestes, et qui se fait place au pied du trône de Dieu. Elie n’intervint désormais dans les affaires publiques de la nation que pour annoncer la fin prochaine d’Ochozias, digne fils d’Achab et de Jézabel, et pour opposer la foudre aux soldats envoyés contre lui. Son occupation suprême fut d’inaugurer et d’affermir cette grande école de spiritualisme qui, retirant la vie du dehors pour la reporter au dedans, nomme la terre un exil, le ciel une patrie, et remplit l’âme d’une grave mélancolie et d’une espérance immortelle : noble école où l’on retrouve les débris de la langue parlée dans l’Eden par notre premier aïeul, et les préludes de l’hymne répété sans fin par les élus et les anges dans la cité céleste.

Peu de temps après, le roi Achab, enflé d’orgueil par suite d’une célèbre victoire que Dieu lui avait miraculeusement donnée contre Bénadab, roi de Syrie, se mit dans l’esprit d’augmenter les vergers d’un palais magnifique qu’il avait à Jésraël ; mais, comme le pieux Naboth refusa de lui vendre, pour cet effet, une vigne qu’il avait près de son enclos, parce que c’était l’ancien héritage de ses pères ; et qu’elle marquait la succession de sa famille, Jézabel ne put souffrir cette résistance, qui affligeait son mari ; elle trouva moyen de faire accuser cet homme de crime de lèse-majesté divine et humaine, et, sur cette calomnie, de le faire mourir avec ses enfants. Le roi n’eut point de part à cette méchanceté ; mais quand il l’eut apprise et qu’il vit que la vigne de Nabolh n’avait plus de maître, il s’en alla fort content à Jésraël, pour s’en mettre en possession. Alors notre grand Prophète, ayant reçu l’ordre de Dieu, alla au-devant de lui, et, dans l’ardeur de son zèle, il lui dit :

« Vous avez tué et vous avez possédé ; mais, écoutez la parole terrible du Seigneur : En ce lieu même, où les chiens ont léché le sang de Naboth, ils lécheront aussi votre sang ».

« Que vous ai-je fait », lui dit Achab, « pour me faire une imprécation si terrible : m’avez-vous reconnu pour votre ennemi ? »

« Oui », répliqua Elie, « parce que vous vous êtes vendu pour faire le mal. Savez-vous », dit Jéhovah, « ce que je ferai ? Comme j’ai détruit la maison de Jéroboam et de Baasa, sans qu’il soit demeuré personne de leurs races, parce qu’ils ont excité mon indignation, ainsi je vous détruirai et toute votre maison. Si vous mourez dans une ville, les chiens vous dévoreront, et si vous mourez dans la campagne, les oiseaux de proie mus mangeront ; et Jézabel, votre femme, sera aussi mangée des chiens dans le champ de Jésraël, où Naboth a été exécuté ».

Le roi fut épouvanté de ces menaces ; il s’humilia devant Dieu, déchira ses vêtements de douleur, se couvrit d’un cilice sur la chair nue, jeûna rigoureusement et ne voulut plus coucher que sur un sac ; ce qui fit différer la ruine de sa maison jusque sous le règne de son second fils. Cependant, la prophétie d’Elie fut accomplie : car les chiens léchèrent son sang dans le champ de Jésraël, et, depuis, la maudite Jézabel ayant été précipitée, par l’ordre de Jéhu, du haut d’une fenêtre, fut aussi dévorée et mangée presque toute vivante par ces mêmes animaux.

Ce prince étant mort, Ochosias, son fils aîné, lui succéda. Il fut encore le sujet du zèle et des réprimandes de notre prophète. Dans une fâcheuse maladie qu’il eut, il envoya consulter Béelzébut que l’on adorait dans Accaron, pour savoir s’il en guérirait. Elie en fut averti par un ange ; il alla au-devant de ses députés, et, les ayant arrêtés, il leur dit :

« Est-ce qu’il n’y a point de Dieu en Israël, que vous allez consulter une idole ou plutôt un mauvais démon dans Accaron ? Retournez vers votre maître, et dites-lui, de la part de Dieu qu’il a méprisé : Vous ne relèverez point de la maladie qui vous tourmente, mais assurément vous en mourrez ».

Ils retournèrent au palais et dirent à Ochosias ce qu’ils venaient d’entendre. Celui-ci leur demanda comment était fait celui qui leur avait parlé.

« C’est », dirent-ils, « un homme barbu, et qui a une ceinture de cuir autour des reins ».

« Hélas ! » Répliqua-t-il, « c’est Elie le Thesbite ».

À l’instant même il commanda à un capitaine de cinquante hommes de s’aller saisir de lui et de le lui amener. Ce capitaine y alla sans respect, et l’ayant aperçu sur la montagne, il lui dit :

« Homme de Dieu, le roi vous commande de descendre et de le venir trouver ». 

« Si je suis homme de Dieu », répondit Elie, « que le feu descende du ciel, et qu’il vous consume avec vos cinquante hommes ».

Terrible imprécation, mais pleine de justice et d’équité, puisqu’il n’y avait rien de plus juste que de punir les ministres et les complices de la méchanceté de ce prince idolâtre. Aussi, ces paroles ne furent pas plus tôt achevées, que le feu descendit du ciel, et consuma tous ces gens armés. Un châtiment si lamentable n’amollit point la dureté du roi. Il ne laissa pas d’envoyer vers Elie un autre capitaine avec cinquante autres soldats pour le faire venir ; ceux-ci ayant imité l’insolence des premiers, reçurent aussi le même traitement, ils furent tous brûlés par le feu du ciel. On vit alors jusqu’où peut aller l’aveuglement d’un homme infidèle ; Ochosias, ajoutant crime sur crime, commanda un capitaine avec sa compagnie, pour obliger le Prophète de le venir trouver. Celui-ci, instruit par le malheur des autres, ne fut pas plus tôt près de lui, qu’il se mit à genoux, et, lui représentant humblement l’ordre qu’il avait reçu, le supplia de lui sauver la vie. Alors notre saint Prophète, averti par un ange, descendit avec lui, et, sans craindre la fureur du prince, que la mort de tant de soldats avait encore enflammée, ni celle de Jézabel, sa mère, le vint trouver à son lit, et, après lui avoir représenté son impiété, sa rébellion contre Dieu et ses autres crimes, il l’assura de nouveau qu’il ne relèverait point, et qu’au tribunal de la justice de Dieu, la sentence de mort était donnée irrévocablement contre lui. Une fermeté si grande effraya toute la cour, et personne n’osa se saisir de lui ; il en sortit triomphant, et s’en retourna sur la montagne où il avait coutume de demeurer.

L’Écriture sainte ne nous dit rien de sa vie privée, ni des exercices religieux qu’il pratiquait en particulier, ou dans la compagnie de ces hommes divins que l’on appelle les enfants des Prophètes ; mais il y a beaucoup d’apparence que ceux qui demeuraient à Béthel, ou à Jéricho, ou sur le Mont Carmel, ou dans les autres pays de la Palestine, le reconnaissaient pour supérieur et recevaient ses instructions et ses préceptes comme des ordres de Dieu et des oracles venus du ciel. En effet, pourquoi Dieu lui ordonna-t-il de sacrer un autre prophète à sa place, sinon pour donner un prélat à ses chers disciples qu’il allait laisser orphelins ? Pourquoi ces enfants des Prophètes se mirent-ils si fort en peine de le chercher, lorsqu’il ne parut plus, sinon parce qu’ils ne pouvaient souffrir d’être séparés d’un maître et d’un directeur de si grand mérite ? Pourquoi, ayant appris qu’Elisée avait été doublement revêtu de son esprit, se jetèrent-ils à ses pieds et se soumirent-ils sa conduite, sinon parce qu’ils reconnurent en lui la succession légitime de leur père et patriarche saint Elie ? Lorsque l’Esprit-Saint n’éloignait pas notre Saint de la terre d’Israël, et ne le cachait pas aux yeux de tous les hommes, il s’appliquait sans doute à former ces grands serviteurs de Dieu et à leur inspirer les vertus religieuses. Aussi les saints Pères ont toujours parlé d’Elie comme du prince et du chef des ermites et des cénobites. Saint Athanase, dans la Vie de saint Antoine, assure que cet excellent solitaire voulait que les moines vécussent sur l’exemple du divin Elie. Saint Grégoire de Nazianze rapporte de lui-même, dans une de ses homélies, qu’il avait toujours dans l’Esprit le Carmel d’Elie et le désert de Jean-Baptiste, comme les modèles de l’Ordre religieux. Saint Jérôme, dans ses Épîtres à Paulin et à Rustique, s’écrie :

« Notre prince est Elie, notre chef est Elisée, nos capitaines sont les enfants des Prophètes ».

Sozomène dit, en un mot, que ce sont ces grands hommes qui ont donné commencement à la vie monastique ; et Tostat, sur le quatrième livre des Rois, parlant des montagnes de Judée, dit qu’on y voyait des collèges de prophètes semblables à nos communautés religieuses, dont Elie était le prélat et le père.

« Cependant le temps approchait, où cet homme de Dieu devait être enlevé dans le ciel ». C’est ainsi que parle l’Ecriture ; il voulut, auparavant, visiter les disciples qu’il avait à Galgala, à Déthel, à Jéricho et le long du Jomdain, faisant ainsi les fonctions d’un véritable supérieur jusqu’à la fin de son pèlerinage parmi les hommes. Lorsqu’il leur eut rendu ce devoir de charité, voulant passer le Jourdain, il roula son manteau et en donna un coup sur les eaux, et en même temps elles se divisèrent et lui laissèrent un chemin libre. Il le passa donc à pied sec, et avec lui son disciple Elisée, qui n’avait jamais voulu l’abandonner. Alors ce père incomparable le jugeant digne d’être son héritier, lui dit :

« Demandez-moi ce que vous voulez, afin que je vous l’accorde avant que je sois séparé de vous ».

Elisée, inspiré de Dieu, demanda que son double esprit, c’est-à-dire la grâce de la prophétie et le don des miracles, lui fût communiqué, ou bien que son esprit, qui renfermait un grand nombre de grâces, fût doublement en lui.

« Vous avez demandé une chose difficile », dit Elie : « néanmoins, si vous me voyez enlever dans le ciel, elle vous sera accordée ».

Peu de temps après, comme ils parlaient ensemble, un chariot de feu et des chevaux tout enflammés les séparèrent l’un de l’autre, et Elie, étant monté dans ce chariot, fut porté dans un lieu que nous ne connaissons pas, et sur lequel il serait assez inutile de former des conjectures. Élisée, le voyant monter, s’écria de toutes ses forces :

« Mon père, mon père, le chariot d’Israël et son conducteur ».

Mais il fut bientôt privé de sa vue. En même temps le manteau de cet homme céleste tomba du chariot de feu, comme un héritage précieux que le maître envoyait à son disciple. C’était le manteau dont il l’avait couvert pour le rendre prophète, et qui avait divisé les eaux du Jourdain. Il le ramassa avec un grand respect, s’estimant infiniment plus riche de posséder ce grand trésor, que s’il fût devenu maître de toutes les richesses de la terre. Il en éprouva bientôt la vertu : car voulant repasser le Jourdain, pour se joindre aux enfants des Prophètes dont il était devenu le père, il en frappa les eaux comme il avait vu faire à Elie ; et, quoiqu’à la première fois les eaux ne se divisassent pas, néanmoins, lorsqu’il les frappa une seconde fois, en disant :

« Où est donc maintenant le Dieu d’Elie ! »

Elles se séparèrent et lui donnèrent un passage libre au milieu du fleuve.

Voilà en abrégé toute l’histoire de cet homme merveilleux, digne d’un siècle plus heureux que celui où il a vécu sur la terre. Il disparut, selon la Chronologie que nous avons suivie, vers l’année 880 avant la venue du Fils de Dieu. Dix ans après, Joram, roi de Juda, reçut une lettre de sa part, dans laquelle il lui reprochait ses impiétés, ses idolâtries et ses parricides, et lui faisait de terribles menaces, dont son impénitence lui fit bientôt sentir les effets. Nous avons cette lettre dans le deuxième livre des Paralipomènes, ch. XXI. Mais il n’y est point dit d’où elle vint, ni par qui elle fut apportée. Quelques-uns croient qu’Elie l’écrivit dans le lien où il avait été transporté, et qu’il l’envoya par quelque messager céleste. D’autres estiment qu’il l’avait rédigée avant d’être enlevé, par une connaissance prophétique des dérèglements futurs de ce mauvais prince, et qu’il l’avait confiée à un messager fidèle chargé de la présenter au roi quand il serait nécessaire. L’Évangile nous apprend qu’Elie est apparu sur Thabor, avec Moïse, au temps de la Transfiguration du Sauveur ; mais d’une manière différente de celle de Moïse : car Moïse, qui était mort, n’y parut qu’avec un corps aérien, dont son âme fut revêtue ; et pour Elie, qui était vivant, il y parut avec son propre corps, que les anges y transportèrent. L’Ecclésiastique, au chapitre XLVIII de ses Instructions morales, remarque qu’il est destiné pour prévenir du Jugement dernier, pour adoucir, en ce temps, l’indignation de Dieu, et pour faire rentrer les tribus d’Israël dans la véritable religion. Aussi, dès l’Ancien Testament, c’était une tradition commune qu’Elie viendrait sur la terre avant la consommation des siècles, pour préparer les hommes à ce grand jour qui décidera de leur bonheur ou de leur malheur éternel. Notre-Seigneur, dans l’Évangile, a confirmé cette croyance, lorsqu’il a dit « qu’Elie viendrait assurément et qu’il rétablirait toutes choses ». C’est encore de lui et d’Hénoch, selon le sentiment des Pères de l’Église et des interprètes sacrés, qu’il parle dans l’Apocalypse, lorsqu’il dit ce qu’il donnera une vertu extraordinaire à ses deux témoins, et qu’ils prophétiseront mille deux cent soixante jours, ou trois ans et demi, revêtus de sacs ; qu’ils porteront dans leur bouche un feu dévorant dont ils consumeront tous les adversaires ; et qu’ils auront la puissance de fermer le ciel pour en arrêter les pluies, de changer les eaux en sang et d’affliger la terre de toutes sortes de plaies, pour en châtier les criminels ».

Les saints Docteurs ont aussi donné de grandes louanges à notre saint Prophète, surtout saint Bernard, qui l’appelle le défenseur de la foi et de la vérité, l’avocat des pauvres, l’œil des aveugles, la langue des muets, le refuge des misérables, la gloire des gens de bien, la terreur des méchants, le père des rois, le fléau des tyrans, le Dieu d’Achab et le foudre des idolâtres. Les religieux Carmes, qui le reconnaissent pour leur Instituteur et leur premier Patriarche, sont ceux qui se sont le plus étendus sur ses louanges. Ils en font la fête avec beaucoup de solennité en ce jour.

On le représente : 1°) portant à la main une épée flamboyante pour rappeler le langage fier et décisif avec lequel il défendit plus d’une fois l’honneur de Dieu ; 2°) enlevé dans un char de feu ; 3°) nourri par des corbeaux qui lui apportent chaque jour à manger près du torrent de Carith ; 4°) ressuscitant le fils de la veuve de Sarepta ; 5°) en costume d’ermite ; 6°) en compagnie d’Elisée, son disciple et successeur ; 7 °) recevant un pain que lui apporte un ange ; 8°) tenant à la main le cartouche qui se déroule et où on lit ses prophéties saillantes ; 9°) jetant son manteau à Elisée ; 10°) avec Jésus-Christ et Moïse, dans tous les sujets de transfiguration peints ou sculptés.