Daniel fut l’instrument de la Providence. Il se trouva intérieurement touché d’une divine et prophétique lumière qui lui fit connaître la calomnie et les moyens de la déjouer. Il dit à haute voix :
« Je suis pur du sang qu’on va répandre ».
Tout le peuple alors, se tournant vers lui :
« Que signifie cette parole que tu prononces ? »
Daniel, du milieu de la foule, ajouta :
« Êtes-vous donc insensés, vous qui, sans examiner et sans connaître le vrai, prononcez la condamnation d’une fille d’Israël ? Revenez à un nouveau jugement, parce qu’on a porté contre elle un faux témoignage ».
On y revint en effet : soit que Daniel, versé dans toutes les sciences de la Chaldée, jouît déjà d’une grande autorité parmi ses compatriotes, soit plutôt qu’ils découvrissent en lui quelque signe extraordinaire, à peu près comme la multitude devine et salue, dans les grands périls, l’homme de génie que Dieu envoie pour les conjurer et les vaincre. De leur côté, les vieillards dirent à Daniel :
« Viens, et siège au milieu de nous, et nous instruis, puisque Dieu t’a conféré le même honneur qu’à la vieillesse ». Voulaient-ils braver ou fléchir le jeune magistrat ? Était-ce ironie ou craintive adulation ? Quoi qu’il en soit, Daniel dit à l’assemblée : « Qu’on les éloigne l’un de l’autre, et je les jugerai ».
On les sépara de manière qu’ils ne pussent s’entendre, et, s’adressant au premier :
« Homme vieilli dans le mal », s’écrie le Prophète, « tes iniquités d’autrefois vont être manifestées aujourd’hui. Tu rendais d’injustes sentences, opprimant les innocents et sauvant les coupables, quoique le Seigneur ait dit : « Tu ne feras point mourir l’innocent et le juste ». Si cette femme est criminelle, dis son quel arbre tu l’as vue parler à son complice ».
Le vieillard répondit :
« Sous un lentisque ».
« Très-bien », reprit le juge inspiré ; « ton mensonge retombe sur ta tête, car l’ange exécuteur des arrêts divins te divisera en deux ».
Il est étonnant sans doute que le vieillard n’ait pas compris où tendait une question si précise, ou qu’il n’ait pas su y faire une réponse évasive. Mais il semble vraiment que les désordres de la volonté retentissent dans l’intelligence, et que la sagesse de l’esprit abandonne ceux qui ont consenti à perdre la sagesse du cœur, Dieu le permettant quelquefois ainsi pour arrêter le cours insolent d’une prospérité vicieuse.
Le second vieillard vint à son tour subir son interrogatoire. Daniel lui dit :
« Race sortie de Chanaan et non point de Juda, la beauté t’a séduit et la passion t’a troublé le cœur. C’est ainsi que tu traitais les filles d’Israël, et, te craignant, elles répondaient à tes désirs ; mais la fille de Juda n’a point toléré ton insulte. Maintenant donc, dis-moi sous quel arbre tu l’as vue parler à son complice »
« Sous un chêne », répondit le vieillard également frappé de vertige. « Très-bien », reprit Daniel, « ton mensonge retombe aussi sur ta tête ; l’ange de Dieu t’attend, le glaive à la main, pour te déchirer et vous faire périr tous deux ».
À la vue d’une contradiction si éclatante, l’assemblée entière jeta un cri d’indignation et bénit Dieu, en qui les affligés ne mettent jamais vainement leur confiance. On s’éleva contre les infâmes vieillards que Daniel venait de convaincre par leur propre bouche, et, d’après la loi de Moïse, on leur fit subir la peine qu’ils avaient appelée sur la tête de Suzanne : ils furent lapidés. La gloire de l’innocence, un moment couverte par la calomnie, reprit son éclat. Helcias, Joachim et leurs amis, rendirent grâces au ciel, moins encore parce que la vie de Suzanne était sauvée que parce que sa vertu était demeurée sans tache.
La seconde année du règne de Nabuchodonosor, ce prince vit en songe une grande statue composée de divers métaux, qui fut mise en pièces par une pierre détachée de la montagne. Quoique ce songe eût entièrement frappé son esprit, il lui échappa toutefois de la mémoire, et, pour s’en rappeler le souvenir et en avoir l’explication, il fit venir dans son palais tous les devins, les mages, les enchanteurs et les philosophes de la Chaldée. Mais, aucun n’ayant pu deviner ce songe du roi, ni en donner l’explication, il prononça contre eux un arrêt de mort. Daniel, averti d’une sentence si cruelle, essaya d’en suspendre l’effet ; il se présenta devant Nabuchodonosor, et, après quelques jours de délai qu’il lui demanda pour implorer l’assistance du Seigneur, il devina le songe que le roi avait eu et lui en donna l’explication. Nabuchodonosor, rempli d’étonnement, se prosterna le visage contre terre, adora Daniel et l’établit intendant de la province de Babylone et maître de tous les mages et de tous les devins du pays.
Plusieurs années après, le roi vit en songe un arbre, au milieu de la terre, qui était excessivement haut. Cet arbre fut abattu, coupé et mis en pièces, mais en sorte que la racine demeura. Les augures, les mages et les devins du pays n’ayant pu lui expliquer cette vision, Daniel lui en donna l’explication et lui dit qu’elle signifiait que bientôt il serait réduit à l’état des bêtes et qu’il serait chassé de son palais : L’événement vérifia l’interprétation de Daniel : ce prince fut réduit, pendant sept ans, à la condition des bêtes, après quoi il remonta sur le trône et régna comme auparavant, Il ne fut pas longtemps sans retomber dans les mêmes crimes qui lui avaient attiré de la part de Dieu un châtiment si extraordinaire. Son orgueil le porta jusqu’à vouloir se faire regarder comme une divinité. Il se fit dresser une statue d’or, avec ordre à tous ses sujets qu’aussi tôt qu’on entendrait le son des instruments de musique, chacun eût à se prosterner devant la statue qu’il avait érigée. Daniel était apparemment alors absent de Babylone, au moins ne paraît-il pas dans cette occasion ; mais ses trois compagnons, ayant désobéi à l’ordre du roi, furent jetés dans une fournaise ardente, d’où ils sortirent sans avoir éprouvé la moindre douleur. La grandeur et l’évidence du miracle engagèrent Nabuchodonosor à donner un édit en faveur des Juifs et à conserver aux trois jeunes hommes leurs premières dignités.