La Vie des Saints

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D’après les Bollandistes, le père GIRY, les propres des diocèses et tous les travaux hagiographiques. Vies des Saints de l’Ancien et du Nouveau Testament, des Martyrs, des Pères, des Auteurs Sacrés et ecclésiastiques, des Vénérables, et autres personnes mortes en odeur de sainteté.

Histoire des Reliques, des pèlerinages, des Dévotions populaires, des Monuments dus à la piété depuis le commencement du monde jusqu’aujourd’hui.

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Pierre Canisius de Nimègue

En Allemagne, le bienheureux Pierre Canisius, apôtre de cette contrée. 1597.

Sommaire

Hagiographie de Pierre Canisius

La famille de Pierre Canisius était l’une des plus distinguées de la Hol­lande ; son père, d’abord conseiller du duc Charles de Lorraine, fut ensuite bailli de Verdun. C’est sous le toit paternel que Pierre passa, dans l’inno­cence, ses premières années. Puis, il fut envoyé à Cologne, pour y apprendre les belles-lettres. En peu de temps, il eut achevé son cours d’humanités et reçut le grade de docteur en droit civil. Il vint alors à Louvain pour s’ini­tier au droit canonique.

On était alors aux plus mauvais jours du XVIe siècle. Luther s’était levé du sein de l’Église, impétueux, opiniâtre, orgueilleux à l’excès. Poussé par l’esprit du mal et de la rébellion, cet homme avait dépouillé sa robe de moine et, l’anathème à la bouche, avait voué au catholicisme la plus im­placable des haines ; il avait juré la ruine de la Papauté. Canisius naissait à Nimègue pendant que le moine apostat brûlait, à Wittenberg, les bulles de Léon X.

Rien désormais ne devait arrêter l’hérésiarque. Il jeta du même coup le gant au Pape et à l’empereur Charles-Quint. Le Pape, assisté de Jésus­-Christ, résiste et triomphe ; mais l’empereur, d’abord fidèle, se trouble bientôt à la vue de la guerre qui le menace, et, au prix de concessions mal­heureuses, achète la soumission momentanée de ses sujets rebelles. Quand Luther meurt, son œuvre est achevée, la Réformation a jeté dans l’Europe entière des racines profondes.

Pierre Canisius de Nimègue

Fête saint : 20 Décembre
Pierre Canisius
Présentation
Titre : Le Bienheureux
Date : 1597
Pape : Clément VIII
Empereur : Rodolphe II

Canisius, après cinq mois passés dans la prière et l’étude près de son supérieur, partit pour Messine ; et lui qui peu de temps auparavant siégeait parmi les Pères du concile, eut à enseigner la rhétorique. Pendant un an, il s’acquitta de cette mission avec ce dévouement, cet amour du devoir qui lui faisaient trouver du charme au moindre des emplois. Il devait repa­raître bientôt sur une plus vaste scène. Il est subitement rappelé à Rome pour y prononcer ses vœux solen­nels : c’était, pour ainsi parler, l’achèvement de l’homme de Dieu. Pierre se consacre solennellement et irrévocablement à l’œuvre de la Providence ; Ignace peut mourir en paix, il compte un vaillant lutteur de plus dans son armée d’élite. C’est à l’Allemagne qu’appartient désormais le religieux profès ; nous allons voir ce vrai réformateur à l’œuvre.

Ses luttes avec la Réforme

Elles se développent rapidement. L’Allemagne qui les reçoit avec le plus de faveur doit en être la première victime ; avec la foi catholique la constitution impériale est menacée ; les princes, qui ne sont plus obéis, se révoltent à leur tour contre Charles-Quint ;  le sang coule à flots de tous côtés.

L’Église se recueille un instant : puis, assistée de l’Esprit-Saint, elle se lève tout entière à la voix de son chef, et s’affirme plus vivante et plus forte que jamais. À la ligue formée à Smalkade par les Protestants, elle oppose le concile de Trente … C’est Canisius qui doit nous introduire dans l’assemblée des Pères de l’Église.

C’est là que se forma le jeune religieux ; aussi ses progrès dans la voie de la perfection furent si rapides que son noviciat à peine achevé à Cologne sous la direction du Père Pierre Lefèvre, il fut jugé digne de la prêtrise et tout aussitôt appelé à succéder à ce même Père Lefèvre, dans la charge de supérieur. Nous le retrouvons expliquant aux théologiens de l’Université les épitres de saint Paul, et les Évangiles aux élèves du collège du Mont, et préparant en même temps une édition nouvelle des œuvres de saint Cyrille d’Alexandrie et de saint Léon le Grand. Mais tout à coup, il est convié à de plus grandes destinées. De ce moment commence sa lutte contre la Ré­forme.

Un grand scandale est venu fondre sur l’Église d’Allemagne : l’arche­vêque de Cologne, Hermann de Weda, s’est laissé séduire et entraîner dans l’hérésie. À la vue de la trahison de son pasteur, la cité s’indigne ; le clergé, l’Université, les magistrats, jaloux de conserver intact le trésor de leur foi, se décident à demander la déposition du coupable. Toutefois, nul n’osait se rendre près de Charles-Quint et de Georges d’Autriche, prince-évêque de Liège, pour présenter une aussi grave requête. On jette les yeux sur Canisius : c’est lui qui sera, près de l’empereur et du cardinal, l’interprète chargé de réclamer contre l’indignité du coupable. Délicate mission qui témoigne de l’estime qu’on avait déjà pour le jeune jésuite !

Dieu seconde l’envoyé des habitants de Cologne : le Pape excommunie Hermann et le remplace par un saint prêtre.

Pendant son voyage, le Bienheureux s’était rencontré à Ulm avec le cardinal Othon Truchess, évêque d’Augsbourg. Le prélat, frappé de son rare mérite, résolut de l’envoyer au concile de Trente comme son théolo­gien. Ignace de Loyola, consulté, répondit au cardinal que son choix ne pouvait mieux tomber. Ce fut en vain qu’au retour de son négociateur, Cologne fit valoir ses droits sur lui ; Canisius avait sa place marquée au sein des Pères du concile.

Le Concile de Trente

La réunion des Pères de l’Église à cette époque semblait impossible. L’empereur Charles-Quint pris entre les catholiques et les protestants, ne voulait rien faire qui semblât favoriser les uns ou les autres ; le roi de France ne souhaitait pas une assemblée où le Pape serait le maître : enfin le Pape lui-même pouvait craindre quelque entreprise contre son autorité : et cependant, au milieu de tant de difficultés et d’entraves, l’œuvre de Dieu s’accomplit, et la foi fut sauvée. Éternel enseignement que de tout temps Dieu se plaît à donner aux audacieux qui voudraient résister à son Christ ou à son Église.

Parmi la foule nombreuse de prélats et de théologiens appelés au con­cile par la voix du Pontife romain, Canisius, dès le début des sessions, fut placé au premier rang. Au moment où, les préliminaires terminés, le con­cile allait commencer ses séances dogmatiques, des fièvres se déclarèrent à Trente et le siège de l’assemblée fut transféré à Cologne. Assisté du savant jésuite Jacques Laynez, théologien du Pape, Canisius fut chargé de faire le relevé exact des erreurs avancées au sujet des sacrements par les hérétiques et de recueillir dans les monuments de la tradition les bases des règles définitives. L’attente de saint Ignace et du cardinal Othon Truchess ne fut pas trompée : chaque fois que le jeune jésuite élevait la voix au sein de l’assemblée, les Pères du concile admiraient en lui l’homme de Dieu, ve­nant avec sa noble et touchante éloquence remuer les cœurs et convaincre les esprits.

Mais voici qu’après les troubles qui suivirent le meurtre du duc de Plaisance l’assemblée est dissoute : Canisius est rappelé à Rome par saint Ignace. Nous le retrouverons bientôt à là nouvelle session du concile.

Relations entre saint Ignace et le bienheureux Canisius

Ignace et Canisius avaient, ce semble, hâte de se mieux connaître… Qui dira les épanchements de ces deux Âmes ! Ignace initiait Canisius aux secrets desseins du Seigneur sur son œuvre naissante ; et, qui sait ? Dans sa sublime bonté, le Très-Haut déchirant les voiles de l’avenir, leur montrait peut-être cette compagnie de Jésus embrassant l’univers entier des flammes de l’amour divin et tout à la fois régénérant l’ancien, monde et convertissant le nouveau !

Tout, au temps d’Ignace, était à fonder : il fallait des maitres capables d’éclipser leurs rivaux hérétiques. On sait que Luther dut une partie de sa puissance à son éloquence ardente, à sa facilité prodigieuse pour traiter les matières philosophiques et religieuses dans sa langue maternelle ; les dis­ciples qui devaient le remplacer dans son enseignement l’imitaient et acqué­raient très-vite ce prestige qui éblouit les esprits faibles. Ignace forma des maîtres qui surpassèrent bien vite les prétendus réformateurs.

Canisius, après cinq mois passés dans la prière et l’étude près de son supérieur, partit pour Messine ; et lui qui peu de temps auparavant siégeait parmi les Pères du concile, eut à enseigner la rhétorique. Pendant un an, il s’acquitta de cette mission avec ce dévouement, cet amour du devoir qui lui faisaient trouver du charme au moindre des emplois. Il devait repa­raître bientôt sur une plus vaste scène.

Il est subitement rappelé à Rome pour y prononcer ses vœux solen­nels : c’était, pour ainsi parler, l’achèvement de l’homme de Dieu. Pierre se consacre solennellement et irrévocablement à l’œuvre de la Providence ; Ignace peut mourir en paix, il compte un vaillant lutteur de plus dans son armée d’élite.

C’est à l’Allemagne qu’appartient désormais le religieux profès ; nous allons voir ce vrai réformateur à l’œuvre.

Ignace de Loyola
Ignace de Loyola
Edition ancienne du Catechismus de Canisius
Edition ancienne du Catechismus de Canisius

Le collège Jésuite d'Ingolstadt

Le duc Guillaume a fait demander de saints maîtres pour relever l’ins­truction publique en Bavière. Canisius, le Jay, Salmeron, trois disciples prédestinés du général de la Compagnie de Jésus, reçoivent l’ordre de se rendre à Ingolstadt pour y fonder un collège. Ils ont pour tout bagage le crucifix, les Exercices spirituels, et le Ratio studiorum,« plan d’études ». Avec ces deux petits livres, les Jésuites ont remué le monde ; dans le pre­mier, ils puisent cette force surhumaine qui les guide au-delà des mers vers les peuples infidèles ; le second leur sert de règle infaillible dans l’œuvre de l’éducation de la jeunesse.

Le duc Guillaume n’eut qu’à se louer des Jésuites ; le succès le plus éclatant vint couronner leurs efforts. L’Université nomme Canisius son recteur ; il se défend de cet honneur, mais Ignace ordonne, et le religieux se soumet. De ce jour tout prospère, les livres entachés d’hérésie sont enle­vés aux étudiants, les discussions entre maitres et élèves s’apaisent, la parole du Bienheureux ranime au cœur de la jeunesse le respect et l’amour du travail. Aussi, l’Université veut perpétuer la mémoire de son recteur et inscrit son éloge dans ses annales.

Quand les six mois de son rectorat furent achevés, l’apôtre d’Ingolstadt put rendre grâces à Celui qui se plaisait à répandre tant de faveur par ses mains.

Le bruit de ces merveilles se répandait rapidement dans l’Allemagne ; de tous côtés, des lettres et des prières étaient adressées aux supérieurs de Canisius ; on le voulait partout. Ferdinand, roi des Romains, appuyé par le souverain Pontife, obtint sa présence à Vienne.

L’Autriche, à son arrivée, présentait un spectacle navrant. Le clergé séculier, les Ordres religieux, les écoles, étaient infectés de la lèpre hideuse dont Luther avait partout déposé le germe. Les villes n’avaient plus de pasteurs, les sacrements n’étaient plus administrés, les cérémonies reli­gieuses n’étaient plus célébrées. Canisius est d’abord effrayé de l’immensité du mal, mais bientôt il se prosterne devant Dieu et obtient de lui que l’Au­triche soit régénérée.

Ses œuvres

Canisius se multiplie ; il prêche à la cour, il prêche au peuple, il caté­chise les enfants. Soudain, terrible châtiment de Dieu ! La peste éclate dans la ville ; c’est encore Canisius qu’on retrouve au chevet des mourants, soi­gnant le corps et régénérant le cœur des malheureux Viennois. Enfin, il obtient du Saint-Père un jubilé, c’est lui qui en est le prédicateur ; et au milieu d’un concours immense, il venge l’honneur méconnu des indul­gences.

En même temps, la générosité de nobles familles aidant, il ouvre un pensionnat ; les fils des plus nobles habitants y accourent. Bientôt l’angé­lique Stanislas Kostka, guidé par la vierge Marie, viendra se former là aux saintes vertus qui doivent charmer le monde. Vienne renaissait à la foi ; le roi des Romains voulut récompenser le zèle de l’apôtre, en lui offrant le siège épiscopal de ce diocèse, qu’il venait de transformer si heureusement. Canisius accepta pendant quelque temps le devoir de cette charge si lourde, mais il en refusa les honneurs.

Nous l’avons dit : à l’apostolat de la parole, le Père Canisius sut joindre l’apostolat de la plume. Faisons halte, pour ainsi dire, au milieu de sa vie, pour parler de celui de ses ouvrages qui est resté le plus célèbre, le plus populaire : son catéchisme.

Ferdinand, ce prince que nous voyions tout à l’heure si plein d’admira­tion pour le Bienheureux, avait réclamé de saint Ignace un exposé court et solide de la doctrine chrétienne. C’est à Canisius, comme au plus capable, que fut confiée une œuvre aussi importante. Cet abrégé de la doctrine chrétienne, Summa doctrinae christianae, restera, avec le catéchisme du Concile de Trente, comme un éternel monument du triomphe de l’Église sur l’erreur au temps de Luther.

À peine le livre eut-il paru, que Ferdinand, par un rescrit solennel, le répandit dans tout l’empire. Philippe II d’Espagne imita bientôt son oncle, et le fit imprimer dans les États de l’ancien et du nouveau monde. Il fut traduit dans toutes les langues de l’Europe : la Russie, la Pologne, la Suède, le Danemark, l’Angleterre, l’Irlande, la Hollande et la Suisse, con­nurent à peine, pendant bien longtemps, d’autre exposition élémentaire de la foi catholique.

« En 1686 », nous dit le révérend Père Alet, « quand le catéchisme de Canisius fut publié à Paris par l’autorité de Mgr de Harlay, on en était au moins, la préface le constate, à la quatre centièmes édition ».

La raison de ce succès et en même temps son plus grand éloge vient de tomber des lèvres augustes de Pie IX, dans le bref de béatification.

« Ayant remarqué que l’hérésie se propageait partout au moyen de petits livres, Canisius pensa qu’il n’y avait pas de meilleur remède contre le mal qu’un bon abrégé de la Doctrine chrétienne. Il composa donc le sien, mais avec tant d’exactitude, de clarté et de précision qu’il n’en existe pas de plus propre à instruire et à confirmer les peuples dans la foi catholique ».

Dominé par les sentiments de cette extrême humilité qui le caractéri­sait, Canisius avait résolu de ne pas se faire connaître comme l’auteur du catéchisme, mais le secret, peut-être mal gardé, fut bientôt divulgué, et la renommée du Bienheureux s’en accrut immensément. Ce ne fut plus l’Allemagne seulement qui réclama sa présence ; la Transylvanie, la Hongrie, la Silésie, la Pologne se le disputèrent bientôt.

Nommé, sur ces entrefaites, provincial d’Allemagne par saint Ignace, le Bienheureux s’occupa d’abord d’assurer l’existence complète des collèges de Prague, d’Ingolstadt et de Munich ; puis au moment où il allait se rendre en Bavière, il fut appelé au colloque de Worms.

Conférence de Worms

Les Protestants avaient demandé aux seigneurs d’Allemagne, présents à la diète de Ratisbonne, qu’un certain nombre d’hommes choisis dans les deux camps vinssent se réunir en conférence dans la ville de Worms. Cette proposition plut à Ferdinand : il voulait ménager les susceptibilités des princes luthériens, dont il allait avoir besoin pour faire la guerre aux Mu­sulmans. Canisius, malgré une certaine répugnance, se rendit au colloque sur le désir de ses supérieurs : il y trouva déjà réunis le vieux Philippe Mélanchton, l’âme damnée de Luther, Erasme Schneff, Henri Buttinger et Flach Francowitz, tous prédicants acharnés « du pur Évangile ». Il y eut d’abord, il le faut dire, et le triomphe n’en fut que plus éclatant, il y eut peu d’enthousiasme du côté des catholiques, les discussions chaque jour renouvelées n’amenaient point de vrais résultats. Le Bienheureux eut alors recours à son grand moyen ; il pria, et une inspiration du ciel le secourut aussitôt.

Il était facile de voir que les théologiens de l’hérésie ne s’entendaient pas entre eux-mêmes sur les articles les plus essentiels. Or, le colloque n’avait été accordé qu’aux seuls partisans de la Confession d’Augsbourg. Il insinua donc que, pour éviter la confusion, il serait utile d’écarter les doc­teurs qui n’admettraient pas cette règle de foi. On ne saurait dire combien cette proposition inattendue déconcerta les dissidents. Les voilà qui com­mencent à s’attaquer les uns les autres. Les Sacramentaires condamnent les Anabaptistes, et les Anabaptistes les Sacramentaires et ainsi des diffé­rentes sectes. Mélanchton, malgré son grand âge, a le chagrin de se voir insulté par ses disciples. Bientôt on en vient aux injures, aux outrages les plus violents, et l’on put craindre un moment qu’il n’y eût une véritable mêlée. Enfin, les plus emportés ont le dessus, et cinq, qui avaient montré plus de modération, sont réduits à quitter la place. Ils s’éloignent, en lais­sant entre les mains du président une protestation contre l’indigne con­duite de leurs collègues.

Le colloque ne pouvait plus se prolonger dans des conditions si nou­velles. Le roi des Romains décida que l’assemblée était dissoute et l’on se sépara, à la grande désolation des hérétiques, qui s’en prirent à Canisius de leur échec. En effet, amis et ennemis s’accordaient à reconnaître que c’était à lui que revenait l’honneur d’un résultat si heureux pour la cause catholique.

Les luthériens vaincus essayèrent alors leurs armes les plus honteuses contre celui qu’on appelait déjà le « marteau des hérétiques » : ils inventèrent contre lui des fables ridicules, répandirent partout les plus infâmes calomnies. L’homme de Dieu redoubla de patience, méprisa ces attaques et s’ingénia sans s’émouvoir à multiplier contre ces adversaires les actes de la plus ardente charité. On l’appelait dans l’Alsace supérieure, il en traversa toutes les villes en faisant le bien et en guérissant les tristes blessures que la prétendue Réforme infligeait à l’Église.

Mais le mal s’aggravait toujours et il venait d’atteindre la Pologne. Le Pape aussitôt y envoie un nonce apostolique ; deux théologiens l’ac­compagnent ; l’un est Canisius. À son arrivée, il trouva la religion dans le plus grand des périls.

Ce malheureux pays était alors gouverné par l’indolent Sigismond. Ce prince, à la vue des ravages déjà causés par la Réforme, réunit une diète à Piotrkow. Mais l’élan et l’enthousiasme manquèrent d’abord à cette as­semblée ; Canisius essaya à plusieurs reprises de remuer la foi dans les cœurs indifférents, ses efforts furent à la fin récompensés. Sigismond, sti­mulé par lui, déclara solennellement qu’il n’entendait point qu’on touchât en rien aux droits de l’Église.

Le Concile de Trente reprend ses sessions

Cependant, les sessions du concile de Trente, un instant suspendus, allaient reprendre leur cours. Pie IV, l’empereur Ferdinand et les légats apostoliques jugèrent d’un commun accord que la présence de Canisius était nécessaire ; ils n’avaient pas oublié cette éloquence si douce à la fois et si ferme qui les avait charmés lors de la première réunion du Concile, et ils savaient aussi de quel poids était l’autorité de Canisius, de quelle valeur serait une décision motivée par lui.

Arrivé à Trente le 14 mai 1562, il trouva le saint cardinal Osius, son ami, tout près de mourir. Mais la joie que ressentit le prélat à embrasser celui qu’il désirait voir si ardemment lui rendit soudain la santé.

À la reprise des travaux de l’assemblée, Canisius fut chargé de présider une commission qui dut revoir l’Index ou Catalogue des livres condamnés. Plusieurs fois le saint apôtre eut à traiter devant les Pères le grand sujet de l’Eucharistie. C’est alors que son cœur débordait vraiment sur ses lèvres. La foi l’inspirait et les théologiens assemblés rendaient grâces à Dieu qui leur parlait par une bouche si éloquente. Quant à l’orateur, il écrivait à ce propos :

« Il m’a été commandé de parler au Concile, c’est à d’autres que le succès était recommandé. Le Seigneur m’a aidé en vue des prières de notre Compagnie. À lui seul toute la gloire ».

Le Concile se sépara définitivement en 1563. Restait maintenant à faire accueillir ses décisions par les princes de l’Allemagne.

Le souverain Pontife, dans son anxiété, ne savait qui charger d’une aussi délicate mission, quand il jeta les yeux sur Canisius ; il le nomma aussitôt nonce apostolique et l’envoya en Allemagne. La tâche fut remplie au-delà de toute espérance, et bientôt l’on vit les seigneurs promulguer les décrets du Concile apportés par le nonce. Celte mission touchait à sa fin quand le pape Pie V ordonna à Canisius de se rendre à la Diète d’Augsbourg qui s’ou­vrit le 24 mars 1566.

Un nouveau péril menaçait l’Église. L’islamisme était prêt à fondre sur la chrétienté. Pour détourner ce fléau, il fallait une armée puissante. Les Protestants refusaient de souscrire aux subsides nécessaires pour lever des troupes. À la Diète, ce fut encore Canisius qui par sa fermeté triompha de toutes ces résistances, et on le vit provoquer de la part des catholiques une adhésion solennelle aux décrets du concile de Trente.

Après tant de labeurs, le repos semblait permis ; mais pour le bienheu­reux le repos était dans la lutte même. Le souverain Pontife apprend un jour que les principautés hérétiques de Magdebourg ont composé et publié les annales ecclésiastiques intitulées : Centuries de Magdebourg. C’était un odieux pamphlet, rempli des calomnies les plus perfides contre l’Église catholique. Le saint Pape, ému d’une telle nouvelle, ordonne à Canisius de réfuter cette mordante satire, et le bienheureux donne au monde le livre des Altérations de la parole divine, chef-d’œuvre de controverse en même temps que brillante apologie de la religion.

À peine la réfutation a-t-elle paru que Grégoire XIII envoie Canisius en députation près des princes de l’Allemagne, pour les engager à consolider l’établissement du collège germanique en fondant dans leur pays d’autres collèges et des séminaires en faveur de la jeunesse allemande.

D’Allemagne Canisius revient à Rome pour régler les affaires de la fon­dation du collège germanique, puis il repart pour le Colloque de Nurem­berg, accompagnant l’évêque de Brescia. Le colloque est différé, et tandis que le bienheureux se croit un instant libre, voici qu’il lui reste à accom­plir une dernière et magnifique mission.

Une supplique des évêques de Bâle, de Constance et de Lausanne était venue signaler à Grégoire XIII le danger que la foi courait dans la Suisse catholique. L’évêque de Verceil, chargé par le Pape de rendre compte de l’état du pays, écrivit à Rome que le seul moyen de sauver la religion était d’y établir un collège dirigé par les Pères de la compagnie de Jésus. Ce pro­jet fut approuvé, mais lorsqu’on apprit en Suisse que les Jésuites étaient sur le point d’arriver, protestants et catholiques s’unirent dans les plus menaçantes déclamations. Les calomnies répandues à dessein sur la compa­gnie de Jésus portaient leurs fruits. Un seul homme, pensa-t-on à Rome, est capable de triompher de ces résistances. C’était nommer Canisius. La présence seule du saint apôtre changea l’aspect de ce pays.

Création du collège de Fribourg

À peine arrivé à Fribourg, le bienheureux fut l’objet de la vénération de tous : un collège y fut fondé et Canisius se plut à le diriger lui-même. Quoique recteur de la maison qui venait de s’ouvrir, le bienheureux trou­vait encore le temps de prêcher, de visiter les malades et de convertir les dissidents.

Les Fribourgeois s’attachaient de plus en plus à leur apôtre. Un jour, les luthériens de Genève, de Lausanne, de Bâle, envoient à Fribourg de honteux libelles contre la compagnie de Jésus. Le canton de Fribourg répond à ces calomnies en s’engageant par un serment solennel à maintenir toujours intacte la foi catholique.

Le 5 août 1596, les bâtiments du collège venaient d’être terminés : on en fit la solennelle inauguration. A la fin de la cérémonie, le saint vieillard appuyé sur son bâton voulut remercier les Fribourgeois de leurs généreux sacrifices et de leur fidélité : il les supplia de ne jamais trahir leur sainte foi et leur promit le dévouement impérissable de la Compagnie de Jésus.

Sa mort

Ce fut son Nunc dimittis. Ne désirant plus rien que le ciel, le saint vieil­lard se renferma tout entier en Dieu. Bientôt, pour que rien ne manquât à ses mérites déjà si nombreux, il fut atteint d’une hydropisie qui lui fit souffrir un véritable martyre. Le 20 décembre 1597, après quatre mois de souffrances aiguës, il déclara que sa vie sur la terre était enfin terminée et le lendemain, vers trois heures de l’après-midi, en présence de ses frères, il rendit à Dieu sa belle âme. Il était âgé de soixante-dix-huit ans ; il en avait passé cinquante-quatre dans la Compagnie de Jésus.

À peine la nouvelle de sa mort se fut-elle répandue, qu’on eût dit d’une calamité publique qui serait soudain venue fondre sur la cité. On se pressait en foule aux portes du collège, on attendait avec anxiété que les restes du Saint fussent exposés à la vénération publique. Enfin, une chapelle ardente fut disposée, et les Fribourgeois purent venir en foule s’agenouiller près du corps de leur bienfaiteur. Les uns restaient là immobiles et comme attendant que ces lèvres vinssent se ranimer pour leur adresser de saintes paroles ; d’autres se prosternaient pour baiser avec respect les mains et les pieds du serviteur de Dieu ; quelques-uns, voulant à tout prix satisfaire leur dévotion, lui coupaient en cachette une mèche de cheveux ; on alla jusqu’à mettre en lambeaux ses vêtements sacrés. 

Le surlendemain, le clergé, le sénat, la magistrature firent enlever le corps et lui rendirent les honneurs funèbres, aux frais du trésor public, dans la cathédrale de Saint-Nicolas, où il fut inhumé, avec la réserve que la précieuse dépouille serait rendue aux Jésuites dès qu’ils disposeraient d’une église pour la recevoir. 

L’oraison funèbre du vénérable défunt fut prononcée par le prévôt du Chapitre. Les Fribourgeois, jaloux de perpétuer à jamais la mémoire de Canisius, firent graver sur sa tombe une inscription qui retraçait en termes magnifiques les services que le saint Apôtre avait rendus à la causa de la religion.

Ses vertus

La première et la plus excellente des vertus de Canisius, celle que res­pire pour ainsi dire sa vie entière, c’est le renoncement à soi-même, l’im­molation constante de tout son être.

Dieu, il est vrai, donne aux hommes qu’il choisit pour l’accomplisse­ment de ses desseins ce qu’on appelle une grâce d’état, mais on n’en est digne qu’autant qu’on s’efforce de s’effacer tout entier pour n’être qu’un instrument docile dans les mains du souverain Maître. Là est tout le secret des merveilles opérées par les Saints que nous vénérons : or, qui a plus éminemment pratiqué cette sainte abnégation que Pierre Canisius ? Ne l’avons-nous pas vu toujours tout prêt à s’élancer où ses supérieurs, qui représentent Dieu sur la terre, l’appellent ? Tour à tour, il exerce le triple apostolat de la plume, de la prière et surtout de l’exemple ; il enseigne le peuple, instruit la jeunesse, réfute l’hérésie ; enfin, il est appelé à traiter de puissance à puissance avec les grands de la terre ; et toujours et par­tout, dans sa cellule de religieux comme dans la chaire des églises, au collège comme au Concile, près des rois comme au pied du trône de saint Pierre, nous le retrouvons humble et soumis aux inspirations d’en haut.

Humilité et soumission, ces deux mots résument toute l’œuvre de saint Ignace, dont Canisius fut l’un des premiers et l’un des plus grands disciples. On a souvent tourné en dérision cette sublimité de l’obéissance recom­mandée aux religieux de la Compagnie de Jésus. On s’est moqué du fameux perinde ac cadaver. Mais a-t-on réfléchi que ce grand précepte de la soumis­sion est la condition sine qua non de toute autorité divine ou humaine ? Conçoit-on une royauté, comprend-on une armée sans l’obéissance au chef du pouvoir ou de l’expédition ? Si la haine contre l’habit religieux : ou mo­nastique n’était pas le mobile de ces récriminations absurdes, le bon sens d’abord et l’histoire après viendraient prouver invinciblement que la sou­mission est la garantie de toute puissance.

Et l’humilité, cette vertu qu’il n’est donné à l’homme de comprendre que s’il lève les yeux en haut, n’a-t-elle pas été de tout temps le caractère distinctif de la vraie grandeur ? L’orgueil qui lui est opposé, comme l’indé­pendance à la soumission, ne sont-ils pas les deux vices fondamentaux : qui ont amené la ruine du protestantisme ?

Luther et Ignace naissent en même temps : l’un prêche la révolte à l’autorité, et ses premiers disciples appliquant rigoureusement les principes de leur maître, arrivent à l’impuissance et à l’anarchie ; l’autre recom­mande à ses enfants la soumission à l’autorité, et trois siècles ne font qu’assurer à son œuvre une plus longue durée.

Magnifique et vivant enseignement que cette lutte perpétuelle de la vérité contre l’erreur ! Chaque ère qui se lève sur le monde l’atteste, mais chaque ère aussi vient proclamer plus haut le triomphe de cette vérité immuable comme son principe, qui est le bien et le vrai éternel, sur l’er­reur qui, malgré ses formes chaque jour différente, n’est que ruine et poussière ; car elle ne s’appuie que sur le faux et le mal.

Le 20 novembre 1864, Rome, la ville éternelle, était en fête. Au bruit du canon du château Saint-Ange, en présence de tout le corps diploma­tique, des cardinaux et des prélats de la cour romaine, de l’état-major de l’armée française d’occupation et d’une foule immense de peuple accourue à la Basilique Vaticane, Pie IX ordonnait qu’aux yeux de la ville et du monde le titre et les honneurs de Bienheureux fussent décernés au véné­rable Pierre Canisius, prêtre de la Compagnie de Jésus.

Iconographie

On représente le bienheureux Pierre Canisius ayant près de lui un chien qui aboie contre l’hérésie (son nom hollandais, De Hond, signifie chien ; aussi les Luthériens, fort mécontents de ses œuvres, l’appelaient le chien de Nimègue). 

Il est, avec saint Nicolas, le patron de Fribourg, en Suisse.

Luther

Le plus fameux novateur religieux du XVIe siècle, né en 1484 en Saxe, mort en 1546. Il dut son éducation à la charité des moines, et entra chez les Augustins d’Erfurt. Devenu professeur de théologie, il s’irrita de ne pas être le Judas des indulgences, c’est-à-dire de n’en pas tenir la bourse ; il écrivit contre le pape et prêcha contre l’Église romaine. Devenu épris de Catherine Bore, religieuse, il l’enleva de son couvent avec huit autres sœurs, se hâta de l’épouser, et publia un écrit où il comparait ce rapt à celui que Jésus-Christ fit, le jour de la passion, lorsqu’il arracha les âmes de la tyrannie de Satan…

Nous ne pouvons ici faire sa vie, mais sa mort nous revient. Ses ennemis ont assuré que le diable l’avait étranglé ; d’autres qu’il mourut subitement en allant à la garde-robe, comme Arius, après avoir trop soupé ; que, son tombeau ayant été ouvert le lendemain de son enterrement, on n’y avait pu trouver son corps, et qu’il en était sorti une odeur de soufre insupportable. —George Lapôtre le dit fils d’un démon et d’une sorcière.

À la mort de Luther, disent les relations répandues chez ses contemporains, les démons en deuil, habillés en corbeaux, vinrent chercher cet ami de l’enfer. Ils assistèrent invisiblement aux funérailles ; et Thyrseus ajoute qu’ils remportèrent ensuite loin de ce monde, où il ne devait que passer.— On conte encore que le jour de sa mort tous les démons qui se trouvaient en une certaine ville de Brabaut (à Malines) sortirent des corps qu’ils possédaient et y revinrent le lendemain ; et comme on leur demandait où ils avaient passé la journée précédente, ils répondirent que, par l’ordre de leur prince, ils s’étaient rendus à l’enterrement de Luther. Le valet de Luther, qui l’assistait à sa mort, déclara, ce qui est très-singulier, en conformité de ceci, qu’ayant mis la tête à la fenêtre pour prendre l’air au moment du trépas de son maitre, il avait vu plusieurs esprits horribles qui dansaient autour delà maison, et ensuite des corbeaux maigres qui accompagnèrent le corps en croassant jusqu’à Wittemberg

La dispute de Luther avec le diable a fait beaucoup de bruit. Un religieux vint un jour frapper rudement à sa porte, en demandant à lui parler. Le renégat ouvre ; le prétendu moine regarde un moment le réformateur, et lui dit : — J’ai découvert dans vos opinions certaines erreurs papistiques sur lesquelles je voudrais conférer avec vous. — Parlez, répond Luther.

L’inconnu proposa d’abord quelques discussions assez simples, que Luther résolut aisément. Mais chaque question nouvelle était plus difficile que la précédente, et le moine supposé exposa bientôt des syllogismes très-embarrassants. Luther, offensé, lui dit brusquement : — Vos questions sont trop embrouillées ; j’ai pour le moment autre chose à faire que de vous répondre.

Cependant, il se levait pour argumenter encore, lorsqu’il remarqua que le religieux avait le pied fendu, et les mains armées de griffes. — N’es-tu pas, lui dit-il, celui dont la naissance du Christ a dû briser la tête ?

Et le diable, qui s’attendait avec son ami à un combat d’esprit et non à un assaut d’injures, reçut dans la figure l’encrier de Luther, qui était de plomb : il dut en rire à pleine gorge. On montre encore sur la muraille, à Wittemberg, les éclaboussures de l’encre.

On trouve ce fait rapporté, avec quelque différence de détails, dans le livre de Luther lui-même sur la messe privée, sous le titre de Conférence de Luther avec le diable. Il conte que, s’étant éveillé un jour, vers minuit, Satan disputa avec lui, l’éclaira sur les erreurs du catholicisme, et l’engagea à se séparer du pape. C’est donner à sa secte une assez triste origine. L’abbé Cordemoy pense, avec beaucoup d’apparence de raison, que certains critiques ont tort de prétendre que cette pièce n’est pas de Luther. Il est constant qu’il était très visionnaire, ce qui doit suffire aux incrédules ; et que pour les croyants il était très en état de voir le diable. Il est même possible que la bravade de l’encrier soit une vanterie.