La Vie des Saints

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D’après les Bollandistes, le père GIRY, les propres des diocèses et tous les travaux hagiographiques. Vies des Saints de l’Ancien et du Nouveau Testament, des Martyrs, des Pères, des Auteurs Sacrés et ecclésiastiques, des Vénérables, et autres personnes mortes en odeur de sainteté.

Histoire des Reliques, des pèlerinages, des Dévotions populaires, des Monuments dus à la piété depuis le commencement du monde jusqu’aujourd’hui.

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Le bienheureux Alcuin

À Tours, le très-docte et très-pieux Alcuin, disciple du vénérable Bède, et père spirituel de Charlemagne ; il a enrichi l’Église, non seulement par ses rares exemples, mais aussi par ses excellents écrits. ✞ 804.

Sommaire

Hagiographie d'Alcuin

Alcuin naquit vers l’an 735, en Northumbrie, dans la ville archiépis­copale d’York. Sa famille ; dont on ignore le nom, était de noble race et parente de saint Willibrord.

« Saint Willibrord, dit M. Ampère, descendait d’Hengist, le premier des chefs saxons qui conquirent la Grande-Bretagne, et Hengist prétendait descendre d’Odin. Le pacifique Alcuin ne se doutait pas de cette illustration mythologique. Satisfait d’être le parent d’un saint martyr, il ne connaissait pas le dieu guerrier, père de la race à laquelle il appartenait ».

Alcuin reçut ses premières leçons d’un élève de Bède, Egberct, frère du roi de Northumbrie et archevêque d’York. Les études littéraires propagées en Angleterre par les Romains, interrompues ensuite par les incursions des Saxons et des Danois, avaient refleuri depuis, par, les soins du pape saint Grégoire le Grand. Egberct, sacré archevêque d’York en 734, était passionné pour les sciences : malgré son origine royale et l’élévation de son rang, il ne dédaignait point d’enseigner les éléments de la grammaire et des arts libéraux aux jeunes gens qui étaient élevés dans son monastère épiscopal. Il chérissait Alcuin, non-seulement à cause de ses rapides progrès dans l’étude du grec, du latin, de l’hébreu et de toutes les sciences qu’on enseignait alors, mais surtout à cause de sa franchise et de sa confiante sim­plicité.

Egberct s’était associé Alcuin dans son enseignement, quand il mourut en l’an 766, en léguant à son disciple chéri le soin de la bibliothèque dont il avait enrichi l’église d’York. Alcuin, dans un de ses poèmes, nous ap­prend que cette collection, outre les principaux écrits des Pères et des écrivains ecclésiastiques, contenait les œuvres d’Aristote, de Pline, de Cicéron, de Virgile, de Lucain, de Stace, etc.

Le bienheureux Alcuin
Fête saint : 19 Mai
Charlemagne et Alcuin
Présentation
Titre : Précepteur de Charlemagne
Date : 804
Pape : Saint Léon III
Empereur : Charlemagne

« Je sais que par le baptême, j’appartiens à la bergerie de ce Pasteur qui a donné sa vie pour ses ouailles et qui les a confiées à saint Pierre, en lui conférant le pouvoir de lier et de délier sur la terre et dans les cieux. Je vous reconnais, très-excellent Père, pour le vicaire de ce Saint-Siège et pour le dépositaire de cette merveil­leuse puissance. Je suis une de vos ouailles, mais une ouaille malade et, couverte de taches du péché. C'est pourquoi je me présente à Votre Sain­teté, afin que par la puissance médicinale que vous avez reçue de Jésus-­Christ et qui vous a été transmise comme un héritage, par une longue suite de prédécesseurs, vous me guérissiez de mes infirmités et brisiez les chaînes de mes péchés».

L'école du palais de Charlemagne

Elbert, qui monta sur le siège d’York en 767, suivit l’exemple de son prédécesseur, en chargeant Alcuin de la direction de l’enseignement public. Un jour que le jeune professeur interprétait le passage de l’Évangile où il est raconté que saint Jean reposa sa tête sur la poitrine du Sauveur, il tomba soudain en extase devant tout l’auditoire, et crut apercevoir l’univers entier baigné du sang divin qui jaillit au Golgotha. L’évêque Elbert fit respecter le sommeil d’Alcuin ; mais, plus tard, il le pressa de lui révéler la vision dont il avait été favorisé, tout en lui recommandant le silence pour les autres. Alcuin reçut le diaconat en 768, et administra dès lors un petit monastère du Yorskire, bâti par le bienheureux Wilgis, père de saint Willibrord : c’était un héritage de famille. 

L’archevêque Elbert mourut en 780, après avoir prédit au Savant pro­fesseur ses glorieuses destinées et les triomphes qu’il remporterait sur l’hérésie. Son successeur, Eambald, le chargea d’aller à Rome pour lui rapporter le pallium. C’est en revenant de cette mission, l’an 781, qu’il ren­contra Charlemagne à Parme. Le puissant monarque, qui appréciait gran­dement les dons de l’intelligence et qui cherchait à s’entourer de savants d’élite, fit promettre à Alcuin de revenir auprès de lui, quand il aurait accompli son mandat. Celui-ci, muni d’une autorisation temporaire du roi de Northumbrie et de l’archevêque d’York, vint se fixer à la cour de Charlemagne avec quelques-uns de ses disciples anglo-saxons, au commence­ment de l’année 782. Il resta pendant huit années le précepteur littéraire de celui qui remplissait alors l’univers du bruit de ses exploits.

L’école du palais, qui existait déjà au siècle précédent, mais qui était à peu près dissoute, fut reconstituée par Alcuin. On y enseignait la lecture, l’écriture, le chant, la grammaire, l’arithmétique, la rhétorique, la dialec­tique et l’astronomie. On s’est demandé si cette école était fixe ou am­bulante : il est probable que la bibliothèque qui était annexée restait à Aix-la-Chapelle, le séjour le plus ordinaire de Charlemagne ; mais que les professeurs transportaient leur cours dans les résidences successives du monarque, à Thionville, à Worms, à Ratisbonne, à Mayence, à Francfort, à Paris, etc. Personne ne seconda plus Charlemagne qu’Alcuin, pour réveiller le goût de l’étude, et il a mérité par là le titre qu’on lui donna de restaura­teur des lettres dans les Gaules.

Faire de la France une Athènes chrétienne

Ce fut sur l’avis d’Alcuin que Charlemagne fonda dans son palais une académie, qu’il ne faut point confondre avec l’école publique, et dont les membres se réunissaient à certains jours fixes pour causer de matières d’érudition. Ils prenaient tous un pseudonyme littéraire, en harmonie avec leurs prédilections. Charlemagne s’appelait David ; Alcuin, Flaccus, du nom d’Horace ; Angilbert, Homère ; Adélard, Augustin ; Théodulphe, Pindare.

Charlemagne aurait voulu faire éclore les gloires littéraires du même commandement dont il décrétait les victoires. Écoutons à ce sujet le moine de Saint-Gall :

« Le grand roi s’affligeait de ne pas voir ceux qui l’entou­raient atteindre à la sublimité de génie des anciens Pères de l’Église. Dans son chagrin, formant des vœux au-dessus d’un simple mortel, il, s’écriait :

« Que n’ai-je onze clercs aussi instruits et aussi profondément versés dans les sciences que Jérôme et Augustin ! »

Le docte Alcuin, se regardant avec raison comme très-ignorant en comparaison de ces Pères, fut soudain saisi d’indignation, ne put s’empêcher de la laisser éclater, et, osant plus qu’aucun mortel n’aurait osé en présence du terrible empereur, s’écria :

« Le Créateur du ciel et de la terre n’a pas fait d’autres hommes semblables à ces deux-là, et vous, vous voudriez en avoir une douzaine ».

Au reste, l’illustre anglo-saxon ne partageait point les ardentes illusions du roi qui aurait voulu transformer en quelques années toute la civilisation de son temps.

« Il ne dépend point de vous ni de moi », écrivait-il à Charles, « de faire de la France une Athènes chrétienne ».

Il ne s’en efforça pas moins de stimuler partout le goût de l’étude et la propagation des livres. 

Alcuin, qui avait prolongé son séjour en France, pendant huit ans, désirait revoir sa patrie. Charlemagne se vit bien obligé d’y consentir, mais à la condition que son protégé tâcherait d’obtenir du roi de Northumbrie un congé définitif. Il chargea Alcuin de nombreux présents pour les églises de la Grande-Bretagne.

Notre Bienheureux ne se pressa point de quitter ses compatriotes, et, quoiqu’il fût sans cesse importuné par les sollicitations de Charlemagne, trois ans s’écoulèrent avant qu’il se décidât à quitter sa patrie. Il avait em­ployé ce temps à revoir ses amis, à poursuivre ses recherches philosophiques et à gouverner le monastère de Sainte-Marie et de Saint-Wilgis, situé près de l’Océan, à l’embouchure de l’Humber. C’était, comme nous l’avons dit, un héritage de famille. Peut-être fut-ce alors qu’il prit part à la construc­tion de la cathédrale d’York, dont il a donné la description dans un de ses poèmes.

Alcuin se sépara avec douleur de ses frères d’York. Quelques-unes des lettres qu’il leur écrivit, aussitôt après son débarquement en France, montrent combien il restait attaché à sa patrie.

C’est en 793 qu’Alcuin revint en France. Pour l’y fixer à tout jamais, Charlemagne lui donnait l’administration et les revenus des abbayes de Saint-­Loup de Troyes, de Ferrières, dans le diocèse de Sens, et de Saint-Josse­-sur-Mer, au diocèse d’Amiens. Charlemagne s’était imposé la loi de ne jamais donner plusieurs bénéfices à un même titulaire. L’exception qu’il fit alors prouve combien il désirait retenir en France le savant anglo-saxon. Alcuin voulait refuser ces bénéfices, en faisant remarquer qu’il tenait si peu aux biens de ce monde qu’il avait renoncé à son propre patrimoine. Le roi vainquit ces scrupules en lui répondant qu’il gérerait ces biens au profit des pauvres et se constituerait aussi l’aumônier du trésor royal.

Son combat contre l'hérésie

Le principal motif dont s’était servi Charlemagne pour rappeler Alcuin, ce fut la nécessité de combattre les hérésies de deux évêques espagnols, Elipand et Félix, qui renouvelaient, sous une forme mitigée, les erreurs de Nestorius. Elipand, évêque de Tolède, admettait que Jésus-Christ est le fils de Dieu, mais seulement par adoption et non point par nature ; il entraina dans son opinion Félix, évêque d’Urgel, qui avait tous les dehors de la sainteté ; cette doctrine fit bientôt de menaçants ravages dans plusieurs provinces d’Espagne. Au concile d’Aix-la-Chapelle ; tenu en 799, Alcuin remplit un rôle important. Chargé par le roi de soutenir la discussion contre l’évêque d’Urgel, il déploya pendant six jours toutes les ressources de son éloquence. Félix, déposé de son siège, finit par se rétracter de la manière la plus formelle. 

Alcuin, heureux de ce premier triomphe, essaya de ramener aussi Eli­pand. La lettre qu’il lui adressa dans ce but n’obtint qu’une réponse inju­rieuse : c’est alors qu’il composa un ouvrage en quatre livres, où il rectifie les falsifications qu’Elipand avait fait subir aux textes des saints Pères, pour faire croire qu’ils étaient favorables à sa doctrine. Elipand avait reproché à Alcuin l’abondance de ses richesses et les 20,000 serfs qui dépendaient de ses abbayes. Celui-ci repoussa ainsi cette accusation, en écrivant à l’arche­vêque de Lyon :

« Elipand ignore-t-il donc que la possession des richesses ne devient vicieuse que par l’attachement du cœur ? Autre chose est de posséder le monde, autre chose d’être possédé par le monde. Il y en a qui gardent leurs richesses, quoiqu’ils en soient parfaitement détachés de cœur ; d’autres, au contraire, qui en sont privés, les aiment et les désirent ».

Abbaye Saint-Martin de Tours

En 796, Charlemagne voulut de nouveau récompenser Alcuin de ses services, en le nommant abbé de Saint-Martin de Tours et prieur de Cor­mery en Touraine. L’abbaye de Saint-Martin était une véritable commu­nauté princière qui possédait des fermes et des hameaux non-seulement en Touraine, mais en Normandie, en Bretagne, en Provence, en Bourgogne et en Austrasie. Le territoire qui en relevait était aussi grand qu’un de nos départements actuels et comprenait au moins 60,000 habitants. Cette même année, nous voyons l’illustre abbé s’intéresser vivement à la conver­sion des Huns, qu’entreprenait son ami Arnon. Il l’engagea fortement à ne pas exiger la dîme des nouveaux convertis, et écrivit même deux lettres à ce sujet à Charlemagne. Sa douce tolérance se révèle également dans ses opinions sur la conversion des Saxons, où il ne nous paraît point partager les idées politiques et religieuses de Charlemagne :

« On peut être attiré par la foi », dit-il dans une de ses lettres, « mais non y être forcé. Être contraint au baptême ne profite pas à la foi ».

Alcuin, sentant s’appesantir le fardeau des ans et des infirmités, voulant d’ailleurs consacrer à la retraite le reste de sa vie, demanda à Charlemagne l’autorisation d’aller embrasser la vie monastique à Fulde, dont son compatriote saint Boniface était abbé, et pria le roi de par­tager entre ses disciples les bénéfices qu’il devait à sa munificence. Le mo­narque ne voulut exaucer que le second de ces vœux ; et, transigeant sur la première demande, il lui permit de se retirer dans son monastère de Saint-Martin de Tours. Alcuin y établit vers 796 une célèbre école dont il occupait tour à tour presque toutes les chaires.

L’école de Tours fut la dernière que fonda Alcuin. C’est à tort que divers historiens ont prétendu qu’il avait professé publiquement à Rome, à Fulde, à Saint-Gall, à Cambridge, à Soissons, à Saint-Riquier : des disciples d’Alcuin ont pu propager son enseignement dans ces diverses localités ; niais lui­-même ne professa jamais qu’à York, à Tours, et dans les divers palais où résidait successivement Charlemagne.

Nestorius-represente-par-Romeyn-de-Hooghe-en-1688
Nestorius-represente-par-Romeyn-de-Hooghe-en-1688
Rabanus Maurus (à gauche), soutenu par Alcuin (au milieu), présente son travail à Otgar de Mayence (à droite)
Rabanus Maurus (à gauche), soutenu par Alcuin (au milieu), présente son travail à Otgar de Mayence (à droite)

Vertus d'Alcuin

Alcuin se retirait souvent au monastère du Désert, c’est-à-dire à Saint-Paul de Cormery, prieuré qui dépendait de l’abbaye de Tours, et qu’il avait peuplé avec vingt-deux moines de la réforme de saint Benoît d’Aniane. Pendant le séjour que Charlemagne fit en 800 à Tours, il prenait plaisir à converser avec Alcuin. Un jour, il lui demanda quel était celui de ses enfants qu’il pensait devoir lui succéder ; Alcuin lui désigna Louis, roi d’Aquitaine, et, peu de temps après, il exprima encore la même prévision, alors que Louis lui avait baisé la main avant de recevoir l’ablution de la communion qu’il lui présentait :

« Tout homme qui s’humilie », dit-il, « sera exalté : aussi ce jeune prince sera-t-il le maître de toute la France, après la mort du roi son père ».

Alcuin édifiait toute la communauté par ses vertus. Excepté les jours de fête, il prolongeait ses jeûnes jusque dans la soirée. Le dimanche, il remplissait humblement l’office de diacre auprès de celui de ses disciples qui célébrait les saints mystères. Il se montrait toujours charitable envers les pauvres et plein de dévouement pour ceux dont il dirigeait les progrès spirituels. Jamais il ne restait oisif : la lecture, la composition de ses écrits, la transcription des Livres saints dont il cor­rigeait les textes altérés, absorbaient tout son temps. 

M. Guizot a fort bien mis en lumière l’importance des travaux d’Alcuin pour la correction des manuscrits de la littérature ancienne :

« Les histo­riens », dit-il, « ne parlent qu’en passant et sans y attacher aucune impor­tance d’un fait qui a joué, dans la renaissance de l’activité intellectuelle à cette époque, un rôle considérable ; je veux dire la révision et la correction des manuscrits sacrés ou profanes. Du VIe au VIIIe siècle, ils étaient tombés aux mains de possesseurs ou de copistes si ignorants que les textes étaient devenus méconnaissables. Une foule de passages avaient été confondus et mutilés ; les feuillets étaient dans le plus grand désordre ; toute exactitude d’orthographe et de grammaire avait disparu ; il fallait déjà, pour lire et comprendre, une véritable science, et elle manquait davantage, de jour en jour. La réparation de ce mal, la restitution des manuscrits, surtout de la grammaire et de l’orthographe, fut un des travaux d’Alcuin, travail dont il s’occupa toute sa vie, qu’il recommanda constamment à ses élèves, et dans lequel Charlemagne lui prêta le secours de son autorité ».

Nous ajou­terons qu’il est fort probable qu’Alcuin ne fut pas sans influence sur la modification qui s’accomplit alors dans la forme des lettres, et sur le retour à l’usage de l’ancienne écriture romaine minuscule. 

Alcuin fut toujours plein de respect et de dévouement pour le Saint-Siège. Les plus savants critiques ont reconnu qu’on lui avait faussement attribué les livres Carolins qui sont remplis d’injures envers le pape Adrien. Il aurait suffi, pour faire justice de cette erreur, d’écouter le langage que tient Alcuin dans ses épîtres :

« Je sais », écrivait-il à Adrien, « que par le baptême j’appartiens à la bergerie de ce Pasteur qui a donné sa vie pour ses ouailles et qui les a confiées à saint Pierre, en lui conférant le pouvoir de lier et de délier sur la terre et dans les cieux. Je vous reconnais, très-excellent Père, pour le vicaire de ce Saint-Siège et pour le dépositaire de cette merveil­leuse puissance. Je suis une de vos ouailles, mais une ouaille malade et, couverte de taches du péché. C’est pourquoi je me présente à Votre Sain­teté, afin que par la puissance médicinale que vous avez reçue de Jésus-­Christ et qui vous a été transmise comme un héritage, par une longue suite de prédécesseurs, vous me guérissiez de mes infirmités et brisiez les chaînes de mes péchés ».

Rien ne restait caché à Alcuin qui, dans diverses circonstances, parut doué du don de prophétie. Lorsque des envoyés de Charlemagne ou des amis de­vaient venir le voir à Tours, l’abbé annonçait d’avance l’époque précise de leur arrivée et le but de leur visite, sans qu’il eût reçu aucune communication à cet égard. C’est ce qui arriva un jour pour Benoît d’Aniane. Cet illustre abbé, qui venait visiter Alcuin sans avoir prévenu personne, fut fort surpris de voir une députation s’avancer sur la route au-devant de lui. Arrivé au monastère de Tours, il demanda à l’abbé si quelqu’un l’avait averti de son approche, de vive voix ou par message ; celui-ci répondit que non et ne voulut point s’expliquer davantage à ce sujet. Saint Benoît d’Aniane, dans une de ses fréquentes visites, demanda un jour à son ami de quelle manière il avait coutume de prier :

« Voici, lui répondit Alcuin, l’oraison que j’adresse à Dieu :

« Seigneur, faites-moi la grâce de connaître mes péchés, d’en faire une sincère confession et une digne pénitence, et accordez-m’en la rémission ». 

Mon père, lui dit Benoît, ajoutons un mot à cette prière :

« Et, après la rémission, sauvez-moi ».

Alcuin dit en outre que lorsqu’il s’inclinait devant la croix, il prononçait ces paroles :

« Seigneur, nous adorons votre croix, nous honorons votre glorieuse passion. O vous qui êtes mort pour nous, ayez pitié de nous ». 

Regrettable conflit

Un prêtre anglo-saxon, nommé Aigulfe, vint visiter Alcuin à son mo­nastère de Tours. En le voyant entrer, des frères qui supposaient que l’étranger ignorait leur langue, s’écrièrent tout haut :

« Voici encore un Anglais ou un écossais qui vient voir notre abbé anglo-saxon. Ah ! Seigneur, dé­livrez notre monastère de tous ces essaims de Bretons qui accourent s’abattre ici ».

Aigulfe qui les comprit fort bien, ne manqua point de raconter à Alcuin cette malencontreuse réception. L’abbé s’écria soudain :

« Je de­vine quels sont ceux qui ont fait un souhait aussi impoli ». 

Il les appela aussitôt ; et, par quelques reproches affectueux, leur fit comprendre combien ils avaient manqué aux devoirs de l’hospitalité. 

Un regrettable conflit vint attrister Alcuin sur la fin de ses jours. Un clerc criminel avait réussi à s’échapper de la prison où le retenait Théodulphe, évêque d’Orléans, et était venu réclamer asile à Saint-Martin de Tours. On l’accueillit sans songer qu’il avait été légalement condamné par son évêque, qui était fort bien vu de Charlemagne. Des officiers de Théodulphe, munis d’un ordre impérial, voulaient reprendre leur prisonnier ; mais ils en furent empêchés par une émeute de paysans. Plus tard, huit soldats orléanais revinrent à la charge, entrèrent de vive force et tout armés dans l’église. Les Tourangeaux les auraient massacrés, si Alcuin ne les avait ravis à leur fureur. Charlemagne, circonvenu à ce sujet par Théodulphe, et croyant que son autorité avait été méconnue, écrivit une lettre fort dure à l’abbé de Tours et à ses moines. Alcuin reconnut qu’on avait eu tort d’ouvrir l’église à un condamné, mais il se justifia avec énergie au sujet des troubles qu’il n’avait ni fomentés, ni favorisés.

Il est probable qu’Alcuin garda jusqu’à l’an 801 l’abbaye de Tours et qu’alors, malgré  la présence d’un successeur nominal, il a conservé un supériorat effectif que lui méritait l’autorité de son génie et de ses vertus. Vers la fin de sa vie, Alcuin allait tous les jours réciter l’office des Vêpres près de l’église Saint-Martin, à l’endroit qu’il avait choisi pour sépulture. C’est là qu’il aimait à méditer sur le néant du monde et les enseignements de la mort, en répétant l’antienne du 20 décembre :

« O clef de David, sceptre de la maison d’Israël, qui ouvrez sans que personne puisse fermer, qui fermez sans que personne puisse ouvrir, délivrez de sa prison un captif assis à l’ombre de la mort ».

Culte et reliques

Alcuin avait toujours désiré mourir le jour où l’Esprit-Saint descendit sur, la tête des Apôtres. Ses vœux devaient être exaucés ; il tomba malade le jour de l’Ascension, et mourut à l’âge de soixante-huit ans, le jour de la Pentecôte, 19 mai de l’année 804.

La veille du 19 mai, une mystérieuse lumière avait enveloppé tout le monastère, en sorte que, de trois lieues à la ronde, on avait supposé un incendie. Le lendemain, dès l’aurore, on avait vu comme un globe de flamme qui remontait vers les cieux. À la même heure, ainsi qu’on l’apprit plus tard, un solitaire d’Italie qui venait parfois à Tours, aperçut le véné­rable diacre, revêtu de sa dalmatique, entrer dans le royaume des cieux. Son biographe ajoute que les deux célèbres diacres de l’Église, saint Étienne et saint Laurent lui servaient d’escarre avec une foule d’esprits célestes. Le prêtre Sigulfe ensevelit son maître vénéré : il souffrait alors d’un violent mal de tête ; apercevant le peigne d’Alcuin, il eut subitement la confiance qu’il serait guéri en s’en servant : c’est ce qui arriva en effet. Un autre religieux,-nommé Eangist, ajoute le biographe du IXe siècle qui nous sert de guide, appliqua ce même peigne sur ses dents et fut immédiatement délivré des douleurs qu’il y éprouvait. 

Deux jeunes cénobites, élèves d’Alcuin, se promenaient la nuit dans l’enclos du monastère d’Hirsauge. L’un d’eux aperçut une colombe qui montait vers les cieux et entendit en même temps résonner une céleste harmonie :

« Voilà », dit-il à son compagnon, « l’âme de notre cher maître Alcuin qui va recevoir la couronne due à ses vertus et à sa science ». 

Deux jours après, ils apprenaient que la mort d’Alcuin avait coïncidé avec cette poétique apparition. Joseph, archevêque de Tours, présida aux funérailles d’Alcuin, dont il avait fermé les paupières, en versant d’abon­dantes larmes. Il ne voulut point que l’illustre abbé fût inhumé hors de l’église Saint-Martin, à l’endroit qu’avait désigné son humilité, mais dans l’intérieur même du temple.

Les œuvres d’Alcuin ont été publieés en 1617 par André Duchesne ; en 1777, par J. Frohen ; et en 1851, dans la Patrologie de Migne, dont elle forme le tome CXXe.

Grammairien, rhéteur, poêle, philosophe, exégète, controversiste et théologien, Alcuin a été l’homme le plus savant de son siècle, et, de concert avec Charlemagne, le restaurateur des lettres en France. Il avait fait une étude approfondie des Pères et surtout de saint Augustin, auquel il fit de nombreux emprunts. Son style est loin d’être irréprochable ; ses vers ne diffèrent de la prose que par la cadence des mesures ; ses raisonnements trop prolixes manquent de nerf ; aussi s’est-on accordé à dire qu’il a eu plus de génie que de goût, plus d’érudition que d’éloquence, et plus d’étendue que de profondeur dans ses conceptions.

Le corps du bienheureux Alcuin n’a jamais été levé de terre : les seules reliques qu’il nous ait laissées, sont les manuscrits écrits de sa main, dont plusieurs ont été signalés dans le Voyage lit­téraire de deux bénédictins. La bibliothèque de l’abbaye de Saint-Riquier possédait et laissa éga­rer au XVIIe siècle un manuscrit intitulé : Missel de Grégoire et de Gélase, arrangé par Alcuin. C’est là une perte irréparable pour l’histoire de la musique sacrée.

M. Fr. Monnier pense que la bible offerte à Charles le Chauve, en 845, par les religieux de Tours, avait été écrite par Alcuin. Elle figure aujourd’hui au musée des Souverains.

La bible, écrite par Alcuin, que Charlemagne reçut au premier anniversaire de son couronnement, et qu’il mentionna dans son testament, fut portée au couvent de Prum en Lorraine, par Lothaire Ier, quand il y prit l’habit monastique. Elle fut acquise en 1822, par M. de Speyr-Passa­vant, de Bâle, qui en a publié la description. Une polémique s’éleva dans les journaux de 1829, entre les principaux bibliophiles d’alors, sur l’authenticité de ce manuscrit. Nous ignorons ce qu’il est devenu ; ne serait-ce pas le même qui, sous le nom de Bible d’Alcuin, a été vendu à Londres, en 1836, pour la somme de 37.500 francs ?

Nous croyons qu’aucun culte n’a jamais été rendu à Alcuin. La qualification de Saint lui est donnée par Hugues Ménard, Flodoard et la chronique de Saint-Martin de Tours. Il est inscrit comme Bienheureux dans les Martyrologes de Raban-Maur, Ghinius, Wion, Molanus, Bucelin, etc.

Alcuin est représenté écrivant, ou tenant un livre, ou professant devant un auditoire attentif. Les portraits qu’on a de lui, dans diverses collections d’estampes, sont assurément de fantaisie. A l’hôtel de ville d’Aix-la-Chapelle, Alcuin figure dans une fresque moderne représentant Charlemagne, qui préside à la construction de la cathédrale de cette cité. Les Bénédictins du monastère d’Einsiedlen conservent précieusement un ancien portrait d’Alcuin.